Sans conteste, la visite de Chirac a du mérite. Si l'objectif était d'amorcer une relance volontariste des rapports entre l'ancienne métropole et l'ex-colonie, Chirac et Bouteflika ont su donner de la voix et provoquer la réplique populaire qui oblige à prendre date. L'intention dispense des résultats concrets en matière d'initiative de coopération. Et pour cause : on ne voit pas ce qui, au-delà des mots, aurait pu être fait d'extraordinaire, dans les contextes bilatéral et international actuels. Chirac reparti, la charge émotionnelle expulsée, les cornemuses rangées, il ne restera que le souvenir mitigé d'une rencontre plus frustrante par son lyrisme stérile que prometteuse par ses maigres résultats politiques. Et une creuse déclaration d'amitié. Les jeunes qui ont servi de galerie au joyeux cortège auront du mal à se justifier de leur enthousiasme espiègle et sincère à la fois. Je ne sais pas ce qu'en pensent les “anciens”, mais leur avis m'indiffère : le fait est que j'ai vu une jeunesse capable d'exprimer sans haine, mais avec l'insolence enjouée qui lui sied, un accueil fervent à “l'ennemi” d'hier. Le discours officiel ne prend plus sur elle et le ressentiment savamment entretenu a pour effet de prolonger la domination de la légitimité révolutionnaire. Une société qui tend de toutes ses forces vers l'avenir est immobilisée par des chaînes “historiques”. Vouloir s'extraire de son oppressant présent est vécu comme tentative de remise en cause de l'ordre établi par l'épopée de la libération. Les jeunes Algérois, nonobstant la part de préfabriqué de désuet dans l'accueil aux relents folkloriques tiers-mondistes, n'ont pas fêté le président de la France ; ils ont célébré le président de leur Eldorado. La visite du président français a surtout révélé la profonde désespérance des nouvelles générations : le pays est occupé à longue échéance, pensent-ils, et il n'y a plus de place pour eux. Leur avenir, même pas, leur salut, ils ne le conçoivent plus que dans l'ailleurs. Un ailleurs où ils vivraient comme on le fait de leur temps. La France étant, pour toutes les raisons qu'on sait, la plus immédiate représentation de cet ailleurs favorable. Je ne pense pas que ces enfants que la parabole maintient amarrés aux évolutions du mode de vie occidental soient naïfs au point de croire au père Chirac, eux qui ont connu très jeunes la vanité d'investir dans les allusions mensongères. Après le jeu, les réalités. Et la réalité les attendaient aux JT paraboliques du soir-même : après le premier sujet des retrouvailles enthousiastes, le second portait sur la reprise des expulsions par charters. Si Chirac peut être le rêve parfois, la réalité c'est Sarkozy. Et pour longtemps encore. Dans ce leurre accepté par ingénuité ou imposé par tromperie, il reste une part de vérité rassurante : après quarante ans d'enseignement fanatisant, de mystification islamiste, de péroraison baâthiste et triomphaliste, la jeunesse algérienne rêve plus des espaces de progrès et de développement pour y vivre que des destinations mythiques où on veut les envoyer mourir. M. H.