Sur les traces de Jacques Derrida est l'intitulé du séminaire international, inauguré hier et qui se poursuit aujourd'hui, à Alger, ville qui a vu naître ce philosophe en 1930. Ils sont venus de plusieurs pays afin de tenter “d'être à la hauteur de la pensée complexe de Jacques Derrida” comme l'a souhaité, à la tribune de la Bibliothèque nationale, Amine Zaoui, l'hôte de cette rencontre dédiée à celui qui a initié, puis développé la méthode dite de la déconstruction, concept qui reviendra dans chaque intervention. Jacques Deridda, qui aura marqué le monde de la pensée, a fait une lecture politique des textes philosophiques, mais s'est bien gardé de proposer un projet politique, a expliqué l'Egyptien Anouar Moghit, professeur de philosophie au Caire et qui cite ici son homologue français qu'il a rencontré : “Je ne veux pas bâtir un système politique car tout système politique est une tentation de totalitarisme. Rendre justice est impossible. Mais il faut la rendre possible.” “Ce sont ces deux idées qui résument, peut-être, le mieux, la philosophie déridienne qui est un appel à la résistance” et qui la rendent davantage accessible qu'il s'agisse d'indépendance, d'amitié, de politique, d'hospitalité… thèmes des conférences de ce séminaire. Et parce que le philosophe est né en Algérie, en cette même année où la France célébrait le centenaire de sa présence sur la terre qu'il nommait sa “nostalgérie” que l'Algérie officielle était représentée par son Chef du gouvernement et par un conseiller à la présidence de la République. Abdelaziz Belkhadem a rappelé l'apport de l'Algérie dans l'enrichissement de la pensée universelle, alors qu'Abdelkader Djeghloul a parlé de la nécessité de repenser les travaux de Derrida dans un monde où l'individu autocentré jouit d'une liberté qui confine à l'arbitraire. “À cela il opposait l'amitié”. Cette particularité sera longuement évoquée lors des séances d'hier : Derrida est né juif, en Algérie, Français à l'époque de la France antisémite ce qui lui fera perdre sa nationalité… avant de la recouvrer des années plus tard. Cette césure est à l'origine de la déconstruction des identités, selon le philosophe. Avant de céder la parole aux conférenciers, le coordinateur scientifique de ce séminaire, Mustapha Chérif, a livré aux nombreux présents quelques-unes des réflexions du philosophe, qui se qualifie d'agnostique, échangées lors de leurs rencontres qui ont donné naissance à l'ouvrage intitulé L'Islam et l'Occident, rencontre avec Jacques Derrida “l'héritage algérien est fondamental pour mon travail de philosophe. (…) La pluralité est l'essence même de la civilisation”. “La pensée de Jacques Derrida, qui s'est propagées vers d'autres disciplines artistiques, s'est peu à peu forgée au même moment où s'effondraient des concepts de l'Etat souverain et de socialisme transnational”. “Ces deux pôles voyaient s'entamer leurs certitudes politiques”, a rappelé Jean-Luc Nancy, philosophe et enseignant à l'université March Bloch de Strasbourg. “Notre monde n'est peut-être plus un monde. Il nous faut un monde à venir non pas futur car non programmable, mais dont la venue en serait la structure même”, a préconisé Jacques Derrida qui préfère le terme d'alter-autonomie, situation elle-même difficile car elle fait “référence à deux affirmations inconditionnelles d'une même différence”. Jacques Derrida est ce “Franco-Maghrébin qui a regretté le silence du trait d'union”, a rappelé René Major, président de la Société internationale d'histoire de la psychanalyse. Et c'est vraisemblablement pour donner de la consistance à ce trait d'union demeuré jusque-là muet, qu'un pèlerinage est au programme aujourd'hui à El-Biar, son quartier natal. SAMIR BENMALEK