Contre toute attente, celle qui préside le procès de l'un des plus grands scandales financiers du pays, entame sa mission avec l'avantage de faire l'unanimité sur sa compétence, sa patience et sa volonté de préserver les droits de la défense. Juges, parquet général et avocats des accusés ne tarissaient pas d'éloges, hier, sur cette magistrate de plus de vingt ans de carrière en tant que pénaliste. S'il n'y a pas d'interférences politiques, ce procès se déroulera dans de bonnes conditions, soutiennent les robes noires. Pourtant, il y a quelques jours, rien ne prédisait d'un tel dénouement, tellement le climat était propice à la suspicion, jusqu'à douter de la probité du procès et de l'indépendance des magistrats désignés pour sa conduite. Plus d'une cinquantaine d'avocats ont menacé, à la suite du rejet en bloc par la Cour suprême des pourvois en cassation, de boycotter l'audience qualifiée de “séance d'exorcisme” à la charge des accusés en mettant en avant “l'existence de beaucoup d'ingérences d'ordre politique dans l'affaire Khalifa qui ont nui énormément au respect de la procédure”. Qu'est-ce qui a changé entre-temps ? “On remarque que ce procès est conduit de telle façon qu'il sera à charge et à décharge. Contrairement à la chambre d'accusation qui s'est basée sur uniquement des faits à charge. C'est toute l'instruction qui se refait à la barre”, note Me Sidi Saïd Samir, avocat de Abdeli Méziani, membre du secrétariat général de l'UGTA et président de la Caisse nationale de retraite. “Jusqu'ici, elle a bien organisé les débats. Elle connaît bien le dossier pour avoir eu à présider le procès des fuites de capitaux de Khalifa quand elle était à la cour d'Alger. Maintenant, c'est durant les plaidoiries que sera déterminant le rôle des avocats pour attirer l'attention du jury sur tel ou autre point”, renchérit son collègue Me Belarbia Chaouki, défenseur d'un des stewards et d'un chef d'agence travaillant pour le compte de Khalifa Airways. Le président de la commission nationale des droits de l'homme, Farouk Ksentini, la décrit également comme une magistrate “de haut niveau, qui a gravi les échelons un à un et qui respecte les droits de toutes les parties. C'est une légaliste, je le dis sans complaisance”. Fatiha Brahimi a puisé son expérience au niveau de plusieurs tribunaux, dont celui de Boudouaou, Boumerdès, Bir-Mourad-Raïs en tant que présidente de la correctionnelle pour finir présidente de la chambre pénale au tribunal d'Alger avant d'occuper le même poste à Blida, à la faveur du mouvement dans le corps des magistrats intervenus au mois de novembre dernier. Certains pensent que cette mutation intervenue à moins de deux mois de l'ouverture du procès Khalifa était motivée dès le début par une volonté de lui confier cette mission. On prétend même que le dossier lui a été confié avant sa désignation officielle à cette tâche, pour mieux s'en imprégner. Le procureur général adjoint de la cour de Blida rejette en bloc cette hypothèse, affirmant que c'est une décision souveraine du président de la cour de Blida qui a “à gérer un staff constitué de 47 magistrats à qui il répartit les tâches. Comme, c'est elle la présidente de la chambre pénale, c'est à elle qu'est revenu ce rôle”, clame-t-il, refusant d'aller plus loin dans la discussion sous prétexte que le procès est en cours. “Elle est gentille et maîtrise les lois”, soutient un magistrat de la cour d'Alger, présent, hier au tribunal de Blida. Pour l'instant, cette fille d'un avocat de Tablat que l'ont dit très mondaine et introduite dans certains cercles fermés, a su amadoué son monde par la manière méthodique avec laquelle elle mène le procès, son extrême patience lors des auditions de ces trois derniers jours des accusés et sa permissivité envers les avocats qu'elle a invités d'ailleurs à plusieurs reprises à lui soumettre une liste de témoins avec lesquels ils désirent approfondir certaines questions, même s'il s'agit de hauts responsables. En commençant par la caisse principale de Khalifa Bank, depuis sa naissance, les membres fondateurs, les signataires des transactions, le procès de la faillite bancaire ne constituant qu'une infime partie du volumineux dossier Khalifa, composé de quatre autres volets dont Khalifa Airways et Khalifa TV. Elle a, hier, dirigé avec un rare sens de précision l'interrogatoire de Guelimi Djamel, ancien P-DG de Khalifa TV, qu'elle a eu déjà à juger en mars 2003 en tant que magistrate de la cour d'Alger pour une affaire de fuite de capitaux. Djamel Guelimi, Samy Kassa, secrétaire général du groupe et Samir Khelifa de Khalifa Airways ont été arrêtés dans la nuit du 24 février 2003 à l'aéroport d'Alger. Ils tentaient de rejoindre l'avion privé de Khalifa qui les attendait sur le tarmac et transportaient 2 millions d'euros en petites coupures. Ils ont plaidé la “responsabilité personnelle”, acceptant de porter le chapeau à la place du milliardaire déchu. “C'est une excellente magistrate, impartiale. C'est du moins l'impression qu'elle a donné dans les procès précédents. Il reste que les voies du seigneur sont impénétrables”, déclare sur un ton prudent Me Dechicha Farouk, défenseur du DG de la Cnas et de celui de la Caisse de retraite des PTT. Il ajoute que “ce procès doit se dérouler dans de bonnes conditions car il a un retentissement international. Il y va de la crédibilité de l'Algérie”. Me Allouache, que l'on dit proche de l'avocat de Abdelmoumen Khalifa, dit également n'avoir remarqué jusqu'à présent aucune anomalie dans le déroulement du procès. “C'est une bonne pénaliste, bilingue, elle écoute tout le monde”, ajoute-t-il. La défense espère toutefois, que jusqu'au bout, les objectifs politiques de l'accusation ne prennent pas le pas sur les règles du droit. L'impression qui se dégage de ce troisième jour d'audience est que tout est fait pour donner l'image d'un procès juste, équitable, loin des enjeux politiques, et les avocats jouent le jeu, en évitant pour le moment, afin de garder intact les chances de leurs clients de revenir sur leurs anciennes accusations portant sur des gens qu'on a tenté durant l'instruction de préserver de par les postes extrêmement importants qu'ils occupent. Théoriquement, la magistrate est en mesure d'auditionner et d'inculper, s'il le faut, les plus hauts responsables de l'Etat. C'est à quoi elle s'engage. Ira-t-elle jusqu'au bout de sa promesse ? Nissa Hammadi