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Les vérités de Medelci sur l'affaire Khalifa
Témoignage du ministre des finances au 16e jour du procès
Publié dans Liberté le 28 - 01 - 2007

C'est un ministre des Finances, assumant le passé sans œillères ni fausse pudeur, qui s'est présenté, hier, au tribunal criminel près la cour de Blida. Mourad Medelci aura étonné plus d'un avec des propos d'une franchise et d'une teneur rarement entendues à un tel niveau de responsabilité institutionnelle. Remettant à chacun sa part de responsabilité et les choses dans leur contexte de l'époque.
Le grand argentier du pays, qui était également en charge des Finances algériennes en décembre 2001, a confirmé hier avoir bien reçu le rapport envoyé par Ali Touati, vice-gouverneur de la Banque d'Algérie à Abdelmajid Lakehal, secrétaire général des Finances. “Je l'ai reçu et je l'ai lu”, précisera le ministre ajoutant que le document lui a été transmis “sans commentaires ni observations”. Le ministre affirmera avoir “étudié” le rapport relevant notamment qu'un seul point concernait ses prérogatives, le reste étant de la seule compétence de la Banque centrale.
Mourad Medelci apportera une précision à ce qui a déjà été déclaré à la barre. Pour lui, ce rapport relatif aux infractions à la réglementation des changes et aux mouvements des capitaux d'El Khalifa Bank était certes général et “inacceptable” du point de vue de la forme, il l'était aussi du point de vu du “contenu”. Au-delà des vices de forme, Mourad Medelci a relevé l'inexistence d'infractions proprement dites puisqu'elles portaient sur des opérations de transferts d'El Khalifa Bank pour le compte de Khalifa Airways dans le cadre des contrats de leasing. “Les contrats de crédit-bail n'ont pas besoin selon le règlement intérieur de la Banque d'Algérie d'un accord préalable de la Banque centrale pour les opérations de transfert. Les contrats de leasing sont considérés comme des contrats d'importation à règlement différé nécessitant une autorisation du ministère des Transports”.
Le rapport contenait pour le ministre une “défaillance” dans le contenu. Il certifiera avoir reçu selon le même procédé un additif le 13 janvier 2002 et dans lequel la Banque d'Algérie reconnaît l'existence de cette disposition particulière “infirmant, dans le fond, le constat fait sur le transfert des devises à l'étranger par El Khalifa Bank”. Le document additif précisait aussi l'existence des autorisations préalables du ministère des Transports. “Que ce soit pour la forme ou le contenu, le ministère des Finances n'avait pas les raisons nécessaires pour transférer le dossier à l'appareil judiciaire. Dans les conditions dans lesquelles nous vivions à ce moment-là et attendant un complément d'information, nous ne pouvions rien faire”, précisera Mourad Medelci.
Le ministre des Finances ne manquera pas de relever que malgré l'indépendance de la Banque d'Algérie de toute tutelle, il n'est jamais arrivé au gouverneur de l'institution de l'informer ou de l'alerter de la situation de la banque privée lors des multiples rencontres qui les ont réunis. “Il ne m'a jamais adressé aucune information sur ce dossier. Pas une fois”.
“J'attendais un complément d'information…”
Le rapport de la Banque d'Algérie envoyé par Ali Touati est resté dans le “bureau” de Mourad Medelci. “Il était en instance sur ma table de travail”. Il a été remis au même titre que tous les dossiers en sa possession au chef de cabinet du ministère avant son départ et l'arrivée de Mohamed Terbèche. Au procureur général qui demandait si le rapport en question avait été perdu, il dira que non.
“Quel est le bénéfice de le perdre ou de le détruire…?”
Interrogé par la magistrate, relativement calme, sur les “suites à donner” attendues par le vice-gouverneur, le ministre des Finances aura une réponse singulière : “Dans son esprit, il avait fait ce qu'il fallait pour que le ministère puisse mettre en œuvre le dispositif de l'ordonnance 96-22, ce n'était pas le cas...” Quant à une éventuelle demande de “correction” de la procédure pour que puisse être entamée une démarche conforme à la loi, Mourad Medelci dira : “Je pouvais la prendre si j'avais constaté que c'était tout simplement pour des vices de forme que nous ne pouvions intervenir. Je suis ministre de la République, je ne peux pas nahgare ennasse…” Le ministre a considéré les informations contenues dans le rapport et son additif comme étant “utiles”. “Elles nous ont gardés en éveil…” Il ne pouvait toutefois prendre des mesures. “Au ministère, pas un expert, personne n'a à aucun moment attiré mon attention sur quoi que ce soit. J'assume ma déclaration”, précisera Mourad Medelci. Il s'est d'ailleurs interrogé sur le fait que le rapport ait été envoyé par le vice-gouverneur et non le gouverneur lui-même. “Il ne m'est pas apparu à ce moment-là comme ministre des Finances de répondre à une lettre que je n'ai pas reçue. S'ils m'avaient contacté, je les aurais contactés”.
Les responsables de la Banque pouvaient prendre, selon lui, une “mesure immédiate” à leur niveau comme cela s'est produit en 1999 quand l'institution a supprimé l'agrément pour le commerce extérieur d'une autre banque privée. “Moi, je me suis posé un tas de questions. Je ne peux pas dire aujourd'hui que je suis fier de moi parce que mon pays avec cette histoire a perdu de sa renommée. Et en tant que ministre, je n'en suis pas fier. Avec le fil du temps, on s'est rendu compte qu'il s'agissait d'opérations maffieuses…”, précisera le grand argentier du pays.
Mohamed Terbèche a pu prendre les “mesures nécessaires” et “il a bien fait de le faire” parce que le “gouvernement a eu des informations à la fin de l'année 2002”. Son successeur au ministère des Finances l'a d'ailleurs sollicité “à titre informel”. Le ministre à l'époque conseiller du président de la République lui a donné son appréciation sur son contenu. “Je lui ai dit que le rapport était général et n'offrait pas les mécanismes permettant une intervention du ministère. Il est arrivé aux mêmes conclusions et sur la base d'une commission…”
“Chacun assume ses responsabilités…”
Mourad Medelci révélera également que le ministère des Finances a notifié aux organismes de sécurité sociale et administration publique la législation en vigueur. “Début 2002, le chef de cabinet m'a informé qu'un organisme de sécurité sociale, le FNPOS, qui avait des fonds à la BNA, les avaient transférés à KB. Nous avons organisé une réunion pour contrecarrer cela. Et nous avons trouvé”, précisera-t-il. Il s'agit d'une circulaire du ministère des Finances signée en 1984 par Mohamed Terbèche du temps où il était SG de l'institution, dirigée à l'époque par Boualem Benhamouda. “Nous n'avons pas arrêté d'envoyer des directives en ce sens. Nous avons attiré l'attention de toutes les parties, nous avons toutes les preuves et les correspondances…”, dira-t-il. Le ministère a également rappelé les dispositions de la loi de finances 2000. Les deux textes ont pour essence la LF de 1978. “Ces textes interdisent complètement le dépôt des fonds dans des établissements commerciaux”, dira Mourad Medelci, s'inscrivant en “faux” face à ceux, avocats de la défense, qui ont estimé que le ministère était caractérisé par un “mutisme” dans cette affaire. “Le ministère des Finances n'est pas resté mué par rapport à ça. Il y a eu des rappels avant, pendant et après ma présence”.
Mourad Medelci ne pourra masquer une certaine amertume vis-à-vis de ce qui a suivi. “La situation avait changé, j'attendais des informations supplémentaires. Si j'avais été perspicace, ou plus perspicace, j'aurais réagi d'une façon plus radicale…”. Le contexte de l'époque a également joué. “Notre pays est sorti d'un système de gestion publique centralisée. La loi 90-10 donne le signal d'aller vers les réformes, de promouvoir les investissements et d'accompagner les capitaines d'entreprises. Quelque part dans l'imaginaire public, Khelifa correspondait à cette image. Il fallait quelque part qu'on l'encourage, l'accompagne et le soutienne. Il nous a fallu du temps pour nous rendre compte que ce n'est pas un capitaine d'industrie mais autre chose…”. Un avocat lui rappellera la désormais célèbre phrase d'un de ses collègues, Abdelatif Benachenhou qui considérait “les banques algériennes comme un danger”. Si le ministre des Finances ne fera pas de commentaire, il n'en dira pas moins ce qu'il pense. “Avec le recul du temps, c'est une déclaration prophétique. Mais une déclaration et le gouvernement n'est pas fait pour des déclarations. Il est fait pour gérer.”
Interrogé par un avocat quant à la responsabilité “individuelle” ou “institutionnelle” dans la genèse et la chute de la banque avec tout ce que cela charrie, le ministre des Finances considérera la question comme étant “complexe” avec toutefois une nuance. “Chacun assume ses responsabilités… Ce qui se dit dans cette salle ces derniers jours aura un impact à l'intérieur comme à l'extérieur du pays.” Le PG ne manquera pas de réagir pour réaffirmer que la responsabilité dans cette affaire est “individuelle et personnelle” et non institutionnelle. À croire qu'il ne s'agit plus ces derniers jours du procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, mais plutôt celui des institutions de l'Etat, la Banque d'Algérie en tête. C'est le point sur lequel focalisent actuellement les créanciers d'El Khalifa Bank, cherchant la faille pour se faire rembourser alors que la liquidation n'a toujours pas fini son travail.
Samar Smati


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