Qui se souvient de l'histoire de la jeune infirmière à Koweït-City, apparue bouleversée sur les écrans des chaînes de télévision américaines, relayées par les médias du monde entier. Elle révéla, alors, comment les soldats de Saddam Hussein, qui avaient envahi son pays, avaient tué, en les sortant de leurs couveuses, les bébés de la maternité, où elle travaillait. L'effroi fut tel qu'il fit basculer l'opinion publique américaine, jusque-là réservée quant à une guerre située à des milliers de kilomètres de son territoire et permit à Bush père de déclencher, en 1991, les hostilités contre l'Irak. On apprendra plus tard que cette tuerie n'a jamais eu lieu, et que cette soi-disant infirmière n'est autre que la fille de l'ambassadeur du Koweït à Washington. Ce fut l'un des coups les plus réussis en matière d'intoxication des opinions publiques. Ce coup fumeux est l'œuvre d'une entreprise de communication, Hill And Knowlton, dont l'un des principaux cadres à cette époque est Mme T. Clark, actuelle porte-parole du ministère de la défense des Etats-Unis d'Amérique. Dès le lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le gouvernement américain nomma une ancienne professionnelle de la publicité, Mme Charlotte Beer, au poste de sous-secrétariat d'Etat aux relations publiques. “Je vais repositionner la marque Amérique comme je l'ai fait pour IBM”, avait-elle déclaré devant le congrès américain, qui lui attribua un budget de 520 millions de dollars. Sa cible prioritaire : les “populations hostiles”, entendre les musulmans. A cet effet, des encarts publicitaires furent publiés dans la presse et des spots conçus par l'entreprise de communication Mc Cann-Erickson furent diffusés par les stations de radios et les chaînes TV dans plusieurs pays musulmans durant le dernier ramadhan, en novembre-décembre 2002. Ce spot montre une jeune enseignante américaine de confession musulmane, vêtue d'un hidjab, vantant à ses élèves les libertés religieuses en Amérique. coût de l'opération : 7,5 millions de dollars. Mais cette dernière, qui avait pour nom de code “des valeurs communes”, fut un échec cuisant de l'aveu même du microcosme de la publicité et de la presse américaine, ainsi que des organes publics de propagande de Washington. “On ne peut pas vendre l'Amérique, ce n'est pas une mayonnaise”, dira le directeur de radio Free Europe, qui parle en connaisseur. “A moins d'enlever de tous les journaux télévisés les images des victimes palestiniennes, rien de ce que fera Charlotte Beer n'aura d'impact”, a fait observer l'intellectuel Francis. (Suite en page 4) Suite de la page Une Le mégaphone des va-t-en-guerre L'actuelle guerre contre l'Irak n'a pas failli à la règle, une constante, en effet, chez les dirigeants étasuniens. L'été dernier, le gouvernement de Bush décida d'un plan de propagande inégalé par son ampleur et les moyens mis en œuvre pour le réaliser. Objectif : cacher les véritables buts de la guerre contre l'Irak en piégeant les opinions publiques américaines et internationales, plus que réticentes à une guerre, qui sent trop l'odeur du pétrole. Il s'agit de focaliser les esprits sur quelques thèmes, tout en les martelant, en vue de les faire converger vers la nécessité de mettre rapidement Saddam Hussein hors d'état de nuire. Fut créée, à cet effet, une énième officine publique de désinformation : le bureau des communications globales, avec à sa tête un fidèle du président, Tuker Eskew. Celui-ci ne fait pas mystère de sa mission : coordonner les actions de propagande des ministères de la défense, des Affaires étrangères, de la Maison-Blanche, etc. Il a déjà à son actif l'orchestration de la campagne de diffusion massive des fameuses photos satellites truquées sur la reconstruction par le régime de Bagdad de sites atomiques détruits, une première fois, en 1981 par un raid de l'aviation israélienne, contre le réacteur Osirak et, une seconde fois, en 1998 par l'aviation américaine. Et gare à celui dans son équipe qui se laisserait à quelque liberté d'expression ! Bush ne souffre aucune voix discordante. Larry Lindsey, conseiller économique, en sait quelque chose, lui qui a été limogé pour avoir divulgué le coût de la guerre contre l'Irak : 200 milliards de dollars. L'organisme similaire créé ces derniers mois au Pentagone — l'Office strategic influence, dont le champ d'action s'étend également des Etats-Unis au reste de la planète — fit long feu. Le tollé provoqué par la découverte de cette structure a obligé Donald Rumsfeld, en charge du département de la Défense, de la dissoudre. Cela n'a pas empêché le même ministre d'avouer à demi-mots à ce propos, quelque temps plus tard, qu'il ne continuait pas moins d'appliquer la même politique. Outre la corruption de journalistes des pays alliés, l'organisation de manifestations préfabriquées favorables aux Etats-Unis, le travail de sape des traditionnelles radios de la CIA, la voix de l'Amérique et Radio libre d'Europe, une station radio Sawa, émettant en langue arabe en direction des populations du Proche-Orient, a été lancée en mars 2002. Elle est dirigée par Mouafac Harb, un Américain d'origine libanaise. Cette station jouit d'une grande audience auprès des jeunes, si l'on en croit certaines sources, grâce aux flashs d'informations sur notamment la crise irakienne, et par des interventions de dirigeants américains, qui confient à leurs auditeurs toute l'estime qu'ils vouent aux Arabes, à l'islam et aux musulmans. Il est également question de la création, dans un proche avenir, d'une chaîne de télévision américaine en arabe dont le siège sera implanté dans la péninsule arabique. Ce plan prévoit également la création de toutes pièces d'une organisation d'opposition irakienne, organisation dont le siège se situe à un jet de pierre du parlement américain à Washington. Le travail de ce comité consiste pour l'essentiel en “lobbying” en direction des médias, des spécialistes du monde arabe, des politiques, des cadres des forces armées américaines. Le secteur privé participe, lui aussi, à la réalisation de ce programme, à l'exemple de l'entreprise de communication la Rendon Group, du nom de son patron, M. John Rendon, dont la collaboration avec l'armée américaine dure depuis vingt ans. Ce dernier a déjà eu l'occasion de fournir ses armes dans le domaine de la guerre psychologique contre notamment les révolutionnaires sandinistes au Nicaragua, faire accepter les bombardements contre l'ex-Yougoslavie et, plus récemment, dissiper les informations relatives aux victimes civiles causées par les bombardements contre les bases terroristes en Afghanistan. Propagande sous label “scientifique” Cette gigantesque campagne de désinformation est menée en coopération avec des instituts de recherches, tels que Hoover Institute, American Entreprise Institute… qui offrent le label “scientifique” à des études “clés en main”, dont nombre d'entre eux sont des sous-traitants des services de renseignements américains. C'est d'ailleurs l'un de ces centres, la Rand Corporation, très proche de la CIA, qui publia, il y a quelques années, dans un volumineux rapport, une “étude” sur l'inéluctable prise de pouvoir en Algérie par les organisations terroristes islamistes, au moment même où ces dernières étaient en train d'être défaites militairement par les forces de sécurité algérienne et la mobilisation citoyenne. Cette étude “bidon” était très probablement destinée à influencer les membres du congrès et le gouvernement américains pour les amener à poursuivre leur politique de “neutralité bienveillante” à l'égard des terroristes islamistes en Algérie. Bush peut également compter sur le magnat de la presse, Rupert Murdoch et son empire, News Corp, qui compte pas moins de 175 journaux et des centaines de chaînes de télévision, la plupart aux Etats-Unis, mais aussi dans un grand nombre de pays. Les colonnes de journaux, les micros des stations radios et les caméras de TV sont largement et complaisamment mis au service des fauteurs de guerre. A la pointe de ce combat : The Sun, journal people britannique, tirant à des millions d'exemplaires, et la chaîne TV Fox News, aux Etats-Unis, qui a supplanté CNN en audience. Une grossière manipulation Nous avons assisté quelques semaines avant le début de l'agression contre l'Irak à un énorme tapage médiatico-diplomatique autour des fameuses “preuves” de la violation par l'Irak de la résolution 1441 du conseil de sécurité et de ses liens avec le terroriste Oussama Ben Laden. Ces “preuves” furent établies par les services secrets britanniques (SIS), l'Agence nationale de sécurité (NSA) et l'Agence centrale de renseignement (CIA), à partir de leurs stations d'écoutes, de photos satellites et des propos recueillis auprès de transfuges irakiens, à l'instar de cette “maîtresse” de Saddam Hussein qui fit part de l'existence de contacts de celui-ci avec le chef d'Al-Qaïda. Elle révéla au passage que son soi-disant amant recourait au Viagra pour stimuler ses ardeurs sexuelles. L'Irak aurait également fait de nombreuses tentatives pour se procurer des tubes d'uranium à des fins militaires. Le courrier échangé entre l'Irak et le Niger pour l'achat d'uranium entre 1999 et 2001, et présenté au Conseil de sécurité, n'est ni plus ni moins qu'un “faux”, selon le Suédois Hans Blix, chef des inspecteurs de l'ONU, et l'Egyptien M. Mohamed El Baradei, directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique. De plus, les centaines d'inspections entreprises par le personnel spécialisé de l'ONU n'ont en rien corroboré les accusations de Londres et de Washington. Quant à la mise au point par l'armée irakienne de techniques de camouflage de la fabrication d'armes nucléaires, bactériologiques et chimiques, il s'agissait en fait du plagiat d'une thèse de doctorat d'un ancien étudiant américain sur ce thème, élaborée à partir de données dépassées, datant de 1980. H. A.