On ne sait plus si Bush s'acharne contre le détenteur d'armes de destruction massive, contre le pivot menaçant de “l'axe du mal” ou contre le dictateur qui opprime son peuple. Chacun pourra donc voir, dans l'attaque américaine contre l'Irak, la signification qu'il veut ou, plus probablement, qui lui convient. Cette guerre “humanitaire” aura ainsi, dans le monde arabe, la fonction magique d'occulter la réalité homogène d'un espace politique entièrement voué à l'autocratie de roitelets et de présidents imposés par des putschs et/ou prescrits par des urnes maîtrisées. Si Saddam a osé le génocide, il se trouve des régimes dans le monde arabo-musulman qui n'ont pas rechigné à l'usage des armes quand ils se sont sentis contestés. Aucun de ces pouvoirs ne peut se prévaloir de quelque légimité de type démocratique ; tous s'imposent par l'usage de la terreur et du clientélisme politique, deux ingrédients diversements combinés d'un Etat à l'autre ; tous disposent d'une armée tout autant destinée à la défense nationale qu'à la pacification politique ; tous ont une police plus encline à traquer la subversion politique qu'à prévenir la délinquance commune. Rares sont les Etats du monde musulman qui autorisent le multipartisme, s'il n'est conçu comme caricature de démocratie pour les besoins de la carte de visite du despote local ; aucun ne souffre la liberté de presse si elle n'est réduite à la portion congrue que représente la presse écrite, très souvent conduite à servir de simple excipient qui rend l'amère pilule un peu plus supportable. Notre pouvoir, qui a su tirer sur des manifestants qui portaient pacifiquement leurs revendications, en en tuant plus d'une centaine et en en blessant plus de deux mille, serait-il donc à classer parmi les sanctuaires des droits de l'homme ? Ce n'est pas parce que Bush très mal placé pour faire la leçon en la matière — de la justice texane à Guantanamo, tout l'en disqualifie — s'en est pris à Saddam que le despote irakien doive porter le chapeau pour tout le monde. Cette guerre, injuste dans sa démarche, irréaliste dans ses prétentions, ne doit pas nous faire oublier que, dans l'espace idéologique arabo-baâthiste auquel nous appartenons, l'abus et l'injustice sont la règle et le droit, et la démocratie l'exception. En fait, ils y sont simplement inexistants. En pleine guerre, nos autorités autoritaires autorisent enfin les marches populaires…en dehors d'Alger. Allez savoir pourquoi les Algériens ont la permission — conjoncturelle — de s'exprimer partout sauf dans leur capitale ! A la vérité, ils voudraient consacrer à la mode ; l'oncle Bush lui-même n'y trouverait pas à redire puisque le monde entier se permet de manifester contre la guerre, y compris devant la maison. Mais seulement, voilà, il y a ces archs qui tiennent encore à leurs manifestations algéroises. Et si on leur a tiré dessus à Ouzellaguène et Beni Douala, ce n'est pas pour les laisser battre la chaussée d'Alger. Alors, à cause du mouvement citoyen, Saddam n'aura pas Alger ! Tu vois ce que tu nous fais faire, Belaïd ? Au moment où toutes les capitales du monde manifestent pour que la part des choses soit faite entre la dictature de Saddam et le malheur du peuple irakien, nous, nous sommes contraints de priver les Irakiens de notre sympathie pour que survive notre dictature. M. H.