Avant même la chute du régime irakien, Washington commence à signer les premiers contrats pour la reconstruction de l'Irak. Pour les Américains, l'après-Saddam a déjà commencé. Trop tôt ? En fait, c'est le 20 janvier dernier que George W. Bush met effectivement en chantier le plan de reconstruction de l'Irak. Ce jour-là, le président américain crée le bureau de reconstruction et d'assistance humanitaire du pays. Pour Washington, l'opération consiste à “remettre le pays sur pied”. A la tête de cet organisme, le lieutenant-général Jay Garner. Rappelé de sa retraite en FIoride, l'homme est pressenti pour être le futur gouverneur de l'Irak de l'après-Saddam. Avant même le déclenchement des opérations militaires en Irak, Garner prend ses quartiers en toute discrétion au Koweït. En attendant, les Américains ne perdent pas de temps. Les premiers contrats sont déjà signés. Lundi 24 mars, soit cinq jours après les premiers bombardements, l'agence américaine pour le développement international (USAID, United States Agency for International Development) signe un accord pour la remise en service du port d'Oum Qasr avec l'entreprise Stevedoning Services of America, basée à Seattle. C'est du port d'Oum Qasr que viendraient les convois d'aide humanitaire destinés aux Irakiens. L'entreprise est tenue de sécuriser le port dans un délai de deux mois. Le contrat d'un montant de 4,8 millions de dollars est attribué par l'USAID sans qu'aucun appel d'offres international soit lancé. Mieux, quelques jours plus tôt, c'est une autre entreprise, International Ressources Group, qui décroche une enveloppe de 7,1 millions de dollars pour fournir la logistique de l'Irak. L'essentiel est à venir. Mardi 25 mars, l'armée américaine confie à la firme Kellog Brown and Root la mission d'éteindre les puits de pétrole en feu au Sud de l'Irak. Kellog est une filiale de Halliburton, une société pétrolière ayant investi, entre autres, en Algérie, premier groupe mondial de services pétroliers. L'ancien patron de Halliburton n'est autre que Dick Cheney, actuel vice-président américain dont le mandat au sein de cette firme s'est achevé en l'an 2000. L'administration américaine fait-elle dans le favoritisme à l'égard de Halliburton ? Il n'en est rien. Les experts expliquent qu'il s'agit d'un simple renvoi d'ascenseur. L'entreprise en question a contribué à la campagne électorale de George Bush à hauteur de plus d'un million de dollars. Le premier geste de compensation de l'administration Bush a été de lui confier le contrat de construction des camps de Guantanamo dans lesquels sont détenus les prisonniers d'Al-Qaïda. Ajoutez à cela le fait que Halliburton était chargée par Bush père de l'opération d'extinction des puits de pétrole lors de la guerre du Golfe en 1991. Tout concourt donc à conclure que les premiers à être servis sont ceux-là mêmes qui sont derrière le déclenchement de la guerre en Irak. D'autres contrats, plus juteux, sont à venir. 900 millions de dollars sont prévus dans les prochaines semaines pour la réparation et la reconstruction des ponts, des autoroutes et des édifices publics irakiens actuellement bombardés par les forces de la coalition. Des entreprises américaines ont été sollicitées au courant du mois de janvier dernier pour soumettre leurs propositions à l'USAID. Accusés de vouloir favoriser les boîtes américaines, les responsables de cet organisme rattaché directement au Pentagone s'en défendent. Dans une conférence de presse donnée mercredi 26 mars, Andrew Nastios, le président de l'USAID, s'explique : “Nous avons sélectionné directement des sociétés qui réagissent vite et ont obtenu les certificats indispensables par le Pentagone. Seules des entreprises américaines les ont. Nous sommes de toute façon tenus par la loi à faire appel seulement aux groupes américains comme premiers”, dit-il. Décodé, cela reviendrait à dire que les firmes non américaines sont exclues du fabuleux marché que représente la reconstruction de l'Irak. Qui des entreprises britanniques est partie prenante de la guerre ? Elles ne seront pas oubliées, selon les Américains. Nastios ajoute que les discussions sont en cours avec les Britanniques. “Il n'y a pas de doute que le fait qu'une partie de la sous-traitance leur reviendra”, affirme-t-il. Avec quel argent financer ce marché ? Le gouvernement de Bush demande au Congrès américain une enveloppe de près de 80 millions de dollars pour subvenir aux efforts de guerre. Une partie sera consacrée à l'aide humanitaire et aux contrats de reconstruction. En outre, Washington compte utiliser les avoirs irakiens, gelés depuis 1990 et estimés à 1,4 milliard de dollars, comme fonds de participation. Les futures recettes pétrolières de l'Irak devront aussi servir au plan des Américains. Il y a quelques jours, le secrétaire d'Etat Colin Powell a été on ne peut plus clair sur le sujet. “Nous allons utiliser les richesses du peuple irakien, plus particulièrement le pétrole, au bénéfice de ce peuple”, a-t-il affirmé. D'où, sans doute, l'acharnement mis par les troupes américaines à vouloir sécuriser à tout prix les puits de pétrole dans le sud irakien. Par ailleurs, les Américains ne seront pas les seuls à mettre la main à la poche. Le Japon devrait débloquer une enveloppe de 600 millions de dollars. Tokyo est disposée à fournir un soutien à la reconstruction des bâtiments publics et, pourquoi pas, une substantielle aide alimentaire. F. A.