Quatre jours après le coup d'envoi officiel de la campagne électorale pour les législatives du 17 mai, le sentiment général de la rue est frappé du sceau de l'indifférence. Loin de l'effervescence des états-majors partisans, le citoyen vaque à ses occupations quotidiennes. Il faudra probablement attendre la première semaine pour tirer les premières conclusions sur l'implication des citoyens dans la bataille politique engagée par les partis pour la conquête de sièges à l'Assemblée populaire nationale. Avenue Loubet, l'un des poumons commerciaux de la ville, le ciel est plombé et la pluie menace. Un garçon, à peine sorti de l'enfance, est affalé sur le trottoir, le dos contre le mur. Dans sa main, un sachet en plastique et à l'intérieur, un tube de colle qu'il sniffe. Il se cache la tête dans le creux de son bras et lâche un juron. Les passants jettent un coup d'œil sur cette “épave juvénile” avant de poursuivre le cours de leur journée. En cette fin de semaine maussade, les gens ont toujours dans le regard cette incrédulité née des attentats d'Alger. “Parce qu'il y a le vote !” s'exclame Nounou, un garçon de café à la rue d'Arzew. “Pourquoi voter ? Est-ce qu'ils vont m'assurer un travail décent ?” s'interroge Farida, la trentaine. “Combien qu'ils vont toucher ? Hein, dis-moi ? Ou chaâbi, meskine, qui continue à supporter les augmentations. Hlib, triciti, khobz, el ma… jusqu'à quand ?” La voix enrouée de Kader, employé de bureau, se perd dans le brouhaha de la circulation. À l'opposé de l'inertie de la rue, les partis politiques fourbissent leurs armes en vue de la joute électorale que d'aucuns présagent serrée en dehors de “toutes mauvaises surprises”. Rue Khmisti, le siège de la kasma 2 bouillonne littéralement. Le “coup fourré” d'Alger n'est pas encore digéré et la mobilisation de la protesta n'a pas l'air de faiblir malgré la création d'une commission de soutien à la liste officielle de l'ex-parti unique. “S'ils étaient légitimes, ils n'auraient pas besoin d'une telle manœuvre”, commentera un militant présent sur place. Pour le responsable des lieux, M. Mammeri, la situation actuelle à Oran est pour le moins que l'on puisse dire particulière. “On a été spolié par rapport aux candidats qui sont inconnus au niveau de la base militante et plus principalement la tête de liste”, précisera-t-il. Le ministre de la Santé, Amar Tou, est autant montré du doigt que décrié par les kasmas locales qui se réclament comme détentrices de la légitimité organique. Cette logique de rejet est poussée à l'extrême et on n'hésite pas à faire le parallèle entre les probables candidatures qui auraient eu au moins le mérite de faire l'unanimité autour de leur présence. Les noms de l'actuel garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, ainsi que celui de l'ancien ministre de la Justice, Mahi Bahi, considérés comme des enfants de la ville, sont ainsi jetés sur la table de la discussion. “On ne les aurait pas rejetés du moment qu'ils résident à Oran”, commentera notre interlocuteur. “Nous ne sommes ni régionalistes ni sectateurs, mais le candidat, tête de liste, doit être de la wilaya”, ajoutera-t-il. Belaïz ou Mahi Bahi mais pas Tou ! Les premiers signes d'un rapprochement entre les tendances qui traversaient la maison FLNiste locale, au lendemain de la publication de la liste, ont vite fait de disparaître devant le fossé trop profond qui existe entre les ailes Abid et Fréha et la divergence d'intérêts flagrante entre les deux antagonistes. “Abid s'est rétracté en se rangeant derrière Tou parce qu'il y a un poste de ministre à la clé”, affirmera un autre militant. Des répercussions immédiates sur les urnes, M. Mammeri se veut rassurant en estimant que le risque de désaffection des militants n'est pas à craindre dans la mesure où la discipline militante est toujours au rendez-vous. “Sur le plan politique, on a peur que si cette liste est maintenue, on assistera à un risque de déstabilisation au niveau de la mobilisation militante mais en aucune façon à une désaffection de nos militants”, tranquillise le responsable de la kasma 2 avant de lâcher, dépité, un “krahna hadh parachutage”. Une sentence qui sonne comme un désaveu des pratiques de l'appareil central mais qui, de l'avis des observateurs, ne changera pas grand-chose à la réalité. À la rue d'Arzew, le siège local du RND est baigné dans une sorte de satisfecit enfanté par la relative sérénité qui a accompagné l'établissement de la liste des candidats à la députation. Nonobstant des grincements de dents de la part de deux candidats, une femme et un cadre, mécontents de leur classement, la suite des évènements s'est passée sans accrocs notables. Dans son bureau, le coordinateur de la wilaya d'Oran et numéro deux dans la liste, Kada Benatia, en compagnie du colonel Fellouhi, tête de liste, se dit confiant quant aux capacités de son parti à remonter la pente et à effacer la déconfiture de 2002. Comptant à l'heure actuelle quelque 7 500 militants structurés, la formation d'Ouyahia revient de loin puisque le RND local avait vu, à l'époque, ses effectifs fondre comme neige au soleil pour ne dénombrer que 800 cartes d'adhésion. “Les législatives ne sont pas notre objectif primordial mais nous œuvrons pour la continuité de l'action commencée pour toucher le maximum de citoyens”, affirmera notre interlocuteur. Quant aux grandes lignes de la campagne électorale, elle sera axée sur le travail de proximité au niveau des quartiers populaires et des communes pour sensibiliser les citoyens. Parlant du programme du RND pour Oran, il dira que c'est le prolongement naturel du programme présidentiel avec des spécificités locales propres à la wilaya. “Je suis un farouche défenseur de la présence d'une maison de la presse à Oran”, ajoutera le coordinateur dans ce qui se veut un clin d'œil à la corporation. Depuis la déconvenue des dernières législatives, le RND a cherché à s'ancrer plus profondément dans la société à travers la création d'espace à des catégories socioprofessionnelles bien ciblées, allant des artistes aux avocats en passant par les étudiants. À la question de connaître la réaction du parti par rapport à ce qui se passe chez les voisins du FLN, Benatia, diplomate, dira souhaiter voir revenir le calme chez eux. Sidi El Hasni adoube El Morro Du côté de la liste de l'alliance ANR, UDR et MDS, c'est un apport de choix qui a été enregistré avec l'appel lancé par Chérif Louazani Moulay Hacène, le chef de la confrérie Tayebia affiliée au saint Moulay Tayeb, fondateur de la confrérie, à ses ouailles de voter pour la liste de l'alliance, le 17 mai prochain. Cette confrérie présente dans les 48 wilayas pèse entre 10 et 20 000 voix par zaouïa, et son chef, qui n'est autre que l'interprète du fameux Ghomari, version moderne, estime que l'alliance représente l'espoir du pays. Pour le tête de liste et responsable régional de l'UDR, Mohamed El Morro, le programme de l'alliance n'est pas une vue de l'esprit mais un concept fédérateur pouvant servir de base de travail pour la création d'un mégapole démocratique et républicain au lendemain des législatives. Au 20, rue de Tlemcen, le siège du RCD s'affaire à abriter une séance de travail visant à discuter les jalons de la campagne. Le président du bureau d'Oran, Messaoud Babadji, un balai à la main, s'affaire à la préparation du local. Des maximes de Sadi couvrent un mur alors que les photos de militants de la première heure sont accrochées en surveillants de la tradition. Autour d'une table de travail et au milieu de la fumée de Rym grillées, la discussion portera sur la liste locale proposée par le parti qui “respecte l'alternance homme-femme”. Notre interlocuteur insistera sur le fait que les deux premiers de la liste, Farid Khmisti et Fatma Boufnik en l'occurrence, n'appartiennent pas organiquement au RCD mais sont des militants des droits de l'homme et représentent la société civile. Un choix dicté par la volonté du parti de s'ouvrir à la société et qui épouse, en même temps, les orientations du dernier congrès. “L'intérêt d'Oran et du RCD nous oblige à leur donner les représentants sur lesquels la société civile pourra compter”, expliquera Babadji. Selon un éventuel pronostic, il voit le parti sortir des élections avec 3 ou 4 sièges. Le responsable local du parti fustigera, au passage, radio El Bahia qui vient d'instaurer des rencontres hebdomadaires avec les représentants des partis. “Sur quelles bases ont-ils décidé de l'ordre du passage à l'antenne et qui a décidé de ça alors que les textes sur la loi électorale sont clairs”, s'indigne-t-il. Il est à rappeler que le passage du RCD est prévu pour le 29 avril après le RND et le FLN. Farid Khmisti conduira, lui, le RCD à Oran. Avocat depuis 1984, il est membre du conseil de l'ordre depuis 9 ans et militant engagé dans la défense des droits de l'homme. Il a déjà plaidé pour les émeutiers d'Arzew, assuré la défense de travailleurs et de syndicalistes licenciés abusivement et c'est la première fois qu'il participe, en tant que candidat, à des élections. Dehors, la foule grouille, indifférente aux derniers préparatifs d'une campagne morose qui a tout l'air de s'essouffler avant même de débuter. Il reste à savoir, maintenant que la campagne a débuté avec la sortie sur le terrain des chefs de parti, si l'électorat sera attentif aux discours des uns et des autres. S. O.