Pour les deux parties, le préjudice causé s'avère important. La perte serait de l'ordre de 2 milliards de dollars par an pour l'Algérie. Dans un scénario où la Commission nationale de l'énergie espagnole (CNE) maintient ses conditions restrictives à l'accès du gaz algérien sur le marché espagnol, il est certain que la réalisation du gazoduc reliant directement l'Algérie à l'Espagne sera compromise. En termes crus, l'Algérie fermera les vannes qui alimentent cet ouvrage d'une capacité de 8 milliards de mètres cubes/an devant approvisionner le marché espagnol en gaz algérien à partir de 2009. Concrètement, elle se retirerait du projet rendant impossible sa concrétisation. La limitation par la CNE à 1 milliard de mètres cubes par an la commercialisation directe par Sonatrach sur le marché espagnol via Medgaz au lieu de 3, correspondant à sa participation de 36% à la société Medgaz porte atteinte à la rentabilité du projet pour Sonatrach, a souligné, hier, le ministre de l'Energie, M. Chakib Khelil. Revenant sur les conditions discriminatoires relatives à la licence de commercialisation, imposées à Sonatrach, il a ajouté que la CNE a autorisé 46 sociétés, y compris récemment EDF, à commercialiser le gaz sur le marché espagnol sans aucune condition. Elle a autorisé la compagnie espagnole Iberdrola à monter sa participation dans Medgaz de 12% à 20% sans aucune condition. “En Italie, on nous a pas imposé ces conditions”. Ces obligations sont une interférence dans la gestion de la société. Pour toutes ces raisons, si ces conditions sont maintenues, la position algérienne est claire : se retirer du projet, laisse entendre le ministre. Un responsable chargé de la commercialisation à Sonatrach explique que la part de Sonatrach dans la capacité du pipe est de 3 milliards de mètres cubes par an. “On nous a donné 1 milliard. Et les 2 milliards ? Sonatrach va payer les frais de transport de ce gaz (sans avoir la possibilité de commercialiser ce gaz sur le marché espagnol. L'économie du projet en souffrira”, a argué la même source. Ce qui est inadmissible, suggère-t-il. “La CNE n'a imposé aucune limitation du genre imposé à Sonatrach à 30 sociétés sur le marché espagnol”, a ajouté la source. Un expert confie qu'accepter ces conditions signifie renoncer à la plus-value, la marge qu'obtiendrait Sonatrach en commercialisant directement ce gaz sur le marché espagnol. Khelil : les autorités espagnoles veulent faire de la pression pour la non-révision des prix du gaz En fait, pour le ministre de l'Energie, ces conditions sont imposées à Sonatrach en vue de faire pression pour que celle-ci renonce à demander la révision des prix du gaz livré à la compagnie espagnole Gas Natural (9 milliards de mètres cubes par an transportés par le gazoduc Duran Farell et commercialisés sur le marché espagnol). Sonatrach avait demandé une augmentation de 20%, applicables en deux tranches, dont les répercussions seraient une hausse de 6% pour le consommateur espagnol. Par ailleurs, toujours dans ce même scénario, le préjudice causé aux deux parties serait important. Il ne faut pas oublier que l'Espagne a besoin des quantités de gaz transportées par Medgaz pour couvrir ses besoins énergétiques croissants, dopés par la demande née des projets de génération électrique en particulier des énergéticiens Iberdrola et Endesa. Ce gaz, du reste, revient moins cher, en raison de la proximité de l'Algérie, par rapport aux réseaux espagnols. Le fournisseur est connu pour être très fiable. Le projet Medgaz pourrait ouvrir à l'Espagne un marché plus important, à travers les extensions possibles vers la France. Côté algérien, Sonatrach a porté ce projet. C'est elle qui réalise le plus gros effort d'investissement à travers le tronçon on-shore en cours de réalisation, d'une capacité de 16 milliards de mètres cubes par an, reliant Hassi-R'mel à Arzew et Béni-Saf. Ce gazoduc lui rapportera, aux mêmes prix actuels, 2 milliards de dollars par an, renforcera son rôle en tant que fournisseur majeur de l'Union européenne. Sur le plan stratégique, le pipe renforce l'intégration énergétique de l'Algérie à l'Europe. Il est “priorisé” par la Commission européenne pour sa contribution à la sécurité d'approvisionnement de l'Europe. Ainsi, il faut attendre l'issue de la bataille juridique qui s'annonce avec la présentation de recours par la partie algérienne devant les tribunaux espagnols et la commission en vue de lever ces restrictions, pour connaître probablement le sort qui sera réservé à ce projet. Mais, la solution pourrait venir du lobbying des compagnies espagnoles partenaires de Sonatrach dans le projet (Cepsa, Iberdrola, Endesa), partie grande bénéficiaire du projet. La possibilité de liquéfier ces quantités de gaz proscrites sur le marché espagnol sera-t-elle exploitée pour contourner ces restrictions ? N. Ryad