“Cinq minutes avant sa mort, il était vivant”. Bien que nous ayons hérité de cette sage et reproductible vérité de Lapalisse, l'évaporation subite de Saddam Hussein, de sa famille, des dignitaires de son régime et de sa “garde républicaine” laisse un large coin d'ombre sur la chute trop soudaine de Bagdad. Le pilonnage incessant et intense de la ville pendant trois semaines n'explique pas tout. Depuis une présence sonore, symbolisée par le bain de foule inopiné et fugace de Saddam, quarante-huit heures avant la prise du centre de Bagdad, jusqu'à la disparition dans la dernière nuit avant l'entrée des Marines dans le même centre-ville, le régime et son armée se sont dissipés sans bruit. Les résistances des dernières heures, filmées par les télévisions, ne concernent que des miliciens du parti Baâs et des “volontaires arabes”. La bataille promise n'a pas eu lieu faute de combattants, et l'armée américaine entrant dans la capitale irakienne, n'a eu à se défendre que contre quelques groupes sous-équipés et des snipers isolés. La résistance fut autrement plus consistante à Oum Qasr. Or, théoriquement, c'est Bagdad qui concentrait le potentiel de défense irakien. Envolées donc la garde républicaine et la garde républicaine spéciale, chantées par l'inénarrable ministre de l'Information, Essahaf, qui, en dépit de tout bon sens, et quelques minutes avant sa brusque disparition, nous promettait encore la contre-attaque sanglante et décisive. La fin de Saddam était universellement souhaitée ; on peut aussi se réjouir qu'elle fut instantanée : la manière précipitée de la prise de Bagdad a peut-être économisé des vies de civils, d'autant que l'armée américaine n'a pas fait de quartier dans ses bombardements comme dans ses incursions terrestres. Le plus troublant c'est que les forces coalisées ne semblent pas dérangées par la façon dont les choses se sont passées et ne semblent point intriguées par ce côté évanescent du régime de Saddam et de sa garde prétorienne. Le motif suprême de cette intervention — les armes de destruction massive — s'est dissipé dans les faits après l'avoir été dans les discours de pleine guerre. Et voilà que l'armée irakienne, menaçante et jusqu'ici matérialisée par les seules clips de la télévision irakienne et les bilans et intimidations cocasses d'Essahaf, se volatilise sans le moindre baroud. Voilà aussi que le pouvoir ciblé depuis Washington n'est plus au rendez-vous de l'apothéose d'une guerre qui somme toute visait, après ses armes, la personne de Saddam et son entourage. La finalité de rechange — la libération des Irakiens — n'explique pas, à elle seule, le consentement américain pour ce dénouement mitigé d'une bataille si coûteuse. C'est vrai que le pétrole est encore là et que ce ne sont pas les quelques puits enflammés qui diminueront de l'importance stratégique du butin. Il n'y a rien de surprenant dans le mensonge propagandiste d'un régime fondé sur la seule vérité d'un despote paranoïaque. Mais la fulgurance de cette disparition, qui ne laisse presque nulle trace du régime, de ses hommes et de ses armes, déconcerte. Et le fait que la puissance venue jusque dans ses quartiers pour l'épingler s'en accommode aussi doucement intrigue encore plus. M. H.