En laissant piller les établissements publics et les demeures de dignitaires du régime de Saddam, les Américains ne lancent-ils pas une mise en garde contre les autorités de pays arabo-musulmans ? “Voici ce que vous encourez si vous persistez à ne pas vous aligner sur les standards démocratiques”, semblent vouloir délivrer ces images terrifiantes qui passent en boucle sur toutes les télés. Pour justifier le pillage, les populations opposent leur état de misère absolue face au faste insolent dans lequel vivaient Saddam, sa famille, ses proches, ses protégés et ses séides. Le contraste entre les faubourgs populeux et les quartiers de la nomenklatura du Baâth est trop violent. A Basra, deuxième ville, la population est pratiquement en haillons. Les insoutenables scènes de distribution de vivres rendent compte du système Saddam dans sa répression, sa démagogie et sa mégalomanie. La réalité est toute crue : la débâcIe de Saddam a également emporté avec elle les dernières illusions des versions nationalistes et “oummistes” du couple arabisme et islamisme. Le peuple irakien n'a pas cédé aux démons de cette idéologie surabondante, il a contesté la façon avec laquelle il a été libéré mais il est satisfait de la disparition du régime totalitaire de Saddam. Dans le monde arabo-musulman, la consternation après la chute du modèle qui avait fait l'osmose entre les deux idéologies, aboutira probablement à la révision de tous les présupposés et certitudes qui l'ont conduit à l'impasse et à l'instabilité chronique. Des sirènes avaient prédit une déferIante islamiste de Djakarta à Rabat. Rien de cela. Dans l'entourage de Bush, on soutient mordicus le contraire : la seconde guerre du Golfe, c'est aussi pour donner un coup de pied dans “la fourmilière” régionale. Les experts de la Maison-Blanche annoncent que la chute de Saddam serait le prélude à de véritables changements dans le monde arabe. La rue dans la sphère arabo-musulmane n'a pas débordé et les marchands de rêves n'ont pas pu, cette fois, masquer les revendications démocratiques et sociales. Les appels au djihad sont restés sans écho. Les manifestants ont surtout exigé de leur régime l'adoption de standards démocratiques. Même si cela n'est pas encore visible, la chute de Saddam a ébranlé le puzzle des pouvoirs dans cette aire. Les réactions du Caire et de Téhéran sont symptomatiques de l'état d'esprit qui y règne : ils ont fait savoir leur crainte devant la contagion démocratique. En cela, force est d'admettre que Bush a marqué un point. Reste maintenant à vérifier la faisabilité de sa théorie des dominos. D. B.