Le chef du Tribunal spécial irakien (TSI), chargé de juger Saddam, est formel : Bush doit livrer aux nouvelles autorités de Bagdad l'ancien dictateur et tous les dignitaires de son régime, qui seront emprisonnés dans des centres relevant du gouvernement intérimaire. Selon lui, le Premier ministre Iyad Allaoui a fait la demande, souhaitant que Saddam soit remis au TSI avant le transfert des pouvoirs le 30 juin. Les avocats de Saddam crient au scandale, refusant de voir leur client livré à ses compatriotes, au motif que ses droits de prisonnier politique risquent de ne pas être respectés. Installé par l'ex-proconsul américain, Paul Bremer, le tribunal spécial prétend avoir réuni les conditions de détention et de procès des 42 dirigeants que Bush avait estampillés sous forme de jeu de cartes. Cependant, pour que la transaction puisse se faire, le tribunal devrait, au préalable, lancer les mandats inculpant Saddam et son équipe, sur la base de charges incontestables. Mais la formation du tribunal, installé en décembre 2003, a pris du retard. Les 20 juges d'instruction et les enquêteurs de cette cour n'ont pas encore été nommés ! Or, ce sont ces magistrats qui doivent délivrer des mandats d'arrêt, selon les statuts du TSI. Pour Allaoui, un chiite, le procès s'ouvrira le plus tôt possible. Ce que corrobore le président provisoire irakien, Ghazi Al-Yaouar, un sunnite, fils d'une grande tente, indiquant avoir discuté avec son homologue américain de cette affaire à l'occasion du sommet du G8, où il devait prendre part en qualité de dirigeant arabo-musulman devant s'adapter à la démocratie telle que préconisée par le plan américain, plus ou moins avalisé, par les grands du monde. Pressé de repasser Saddam aux Irakiens, ne serait-ce que pour ne pas faire imploser la vague d'impopularité qui déferle sur les Américains en Irak, Bush a fait comprendre qu'il fallait protéger la vie de Saddam jusqu'à son procès. La Maison-Blanche, rattrapé par ses mensonges à propos des armes de destruction massive et de liens supposés entre Saddam et Al-Qaïda, et mis à mal par le scandale de la torture exercée par ses forces d'occupation contre des prisonniers irakiens, ne veut surtout pas être éclaboussé par un autre scandale. Bush, qui a fini par se réconcilier avec l'ONU, doit d'autant plus agir avec prudence que le renouvellement de son mandat est pour bientôt. Le Comité intenational de la Croix-Rouge, qui avait brocardé Washington sur l'affaire de la torture, insiste, de son côté, pour que les procédures légales soient respectées concernant tous les détenus aux mains de la coalition. Le Cicr a déclaré que Saddam, qui a le statut de prisonnier de guerre, devrait être soit libéré, soit inculpé par la coalition, soit transféré aux Irakiens, qui pourront l'inculper au titre des lois irakiennes. Garder des prisonniers de guerre, des internés civils et des détenus de sécurité après le 30 juin est en contravention avec le droit international humanitaire, si aucune charge pénale n'a été retenue contre eux ou s'ils ne purgent pas une peine de privation de liberté prononcée par un juge, selon la Croix-Rouge. Le mystère est total sur le lieu de détention de Saddam que le Cicr a visité à deux reprises depuis son arrestation en décembre 2003. Les autres responsables se trouvent au camp Cropper, à l'aéroport de Bagdad, que Bush veut voir démanteler d'ici le 30 juin. D. B.