Abdelaziz Bouteflika et Nicolas Sarkozy auront finalement réussi à avoir la hauteur de vue nécessaire pour désamorcer une crise coupant ainsi net l'élan de “pyromanes” qui se frottaient déjà les mains à l'idée de transformer une maladroite étincelle en véritable brasier. Entre deux hommes d'Etat avertis du chemin de croix et qui ont surtout compris que tout le monde n'est pas forcément sur leur longueur d'onde, il n'était nullement question d'une franche explication, encore moins d'échange de mots aigres-doux, mais seulement d'une simple conversation téléphonique, le temps de régler leurs violons et remettre les chahuteurs à leur place. “Constitutionnellement, la politique extérieure relève du domaine réservé du président de la République et de ses plénipotentiaires dont le ministre des Affaires étrangères en particulier. Elle est conduite directement par le président ou ses services compétents dûment mandatés. En dehors des positions exprimées par ces autorités, toute déclaration ou spéculation n'engage que ses auteurs ou ceux qui les publient”, déclarait jeudi le président de la République, déniant ainsi toute attribution constitutionnelle au ministre des Moudjahidine, Chérif Abbas dans la sphère diplomatique. Bien plus qu'un recadrage, c'est un désaveu, lourd de reproches à un ministre de la République qui a oublié un moment ce que suppose comme devoir de réserve une haute fonction au sein de l'Etat. Le premier magistrat du pays insistera en effet sur ce point en précisant : “Il n'est pas de nos traditions, ni dans notre interprétation du devoir de réserve qui incombe à tout responsable de l'Etat, de porter des jugements de valeurs sur des hommes d'Etats étrangers ou de nous immiscer dans la politique intérieure des autres Etats, notamment lorsqu'il s'agit d'un pays ami avec lequel nous entretenons des relations multiples de coopération confiantes et mutuellement bénéfiques.” Toutefois, Bouteflika ne prendra pas pour argent comptant ce qui avait été rapporté de manière tendancieuse par une certaine presse française qui a depuis longtemps affiché son désir de voir la visite de Nicolas Sarkozy en Algérie tourner court. La nuance est de taille puisque le communiqué de la présidence, évoquant la conversation téléphonique qui a eu lieu jeudi entre les deux chefs d'Etat, mentionnera des déclarations “prêtées” au ministre algérien des Moudjahidine, accordant ainsi le bénéfice du doute à Chérif Abbas. Un bénéfice du doute supposé être partagé par Nicolas Sarkozy, du moins si l'on admet que les deux présidents avaient réussi à mettre à plat tous les points pouvant donner prise à un nouveau rebondissement de la polémique. Libre donc à Chérif Abbas en tant qu'acteur de la Révolution algérienne d'avoir une opinion personnelle sur le lourd contentieux historique qui oppose l'Algérie à la France ou d'avoir des positions tranchées, mais pour le moment les propos du ministre des Moudjahidine “ne reflètent en rien la position de l'Algérie”, devait souligner le président Abdelaziz Bouteflika. “Le président français sera reçu en ami au cours de sa visite d'Etat en Algérie, visite essentielle pour les deux pays.” Sarkozy, qui doit se rendre dans notre pays du 3 au 5 décembre pour une deuxième visite officielle, répondra : “J'irai en ami en Algérie.” Tant pis pour les nostalgiques de l'Algérie française et tous ceux qui ont voulu souffler sur les braises. Si Bouteflika a remis un peu d'ordre de ce côté-ci de la mer, Sarkozy en a fait autant dans l'Hexagone. À ceux qui souhaitaient une escalade, comme le socialiste Jean-Christophe Cambadelis ou encore le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale française Jean-Marc Ayrault, Nicolas Sarkozy répondait, ce jeudi sur TF1 : “L'incident est clos.” Cambadelis n'a pas fait dans le détail en demandant l'annulation pure est simple du voyage présidentiel en Algérie. C'est carrément la surenchère dans le camp socialiste. “Il est peu probable que le général de Gaulle, François Mitterrand, voire Jacques Chirac eut passé outre de telles déclarations qui portent atteinte à l'autorité de la France”, déclarait Cambadelis. Et Jean-Marc Ayrault de renchérir avec véhémence sur les ondes de RTL : “Nicolas Sarkozy ne peut pas aller à Alger sans obtenir avant des excuses.” “Il ne faut pas laisser passer ce genre de chose.” Le Crif et certaines associations promptes à faire feu de tout bois ne seront pas en reste. “Les considérations de ce ministre sur l'origine juive du président ou de tel ou tel de ses ministres... témoignent de la résurgence des préjugés antisémites les plus nauséabonds.” À ce sujet, le président français avait sa petite idée et aurait pu avoir cette réflexion, dirions-nous, qui voudrait que Dieu le préserve de cette soudaine compassion que lui nourrissent socialistes et compagnie, quant à l'antisémitisme, l'islamophobie et toute forme de racisme, “il s'en charge”. Autant dire que ni Nicolas Sarkozy ni Bouteflika n'entendent renoncer au réalisme qu'ils ont imprimé aux relations algéro-françaises puisque c'est d'un commun accord qu'ils ont renvoyé dos à dos ceux ceux qui veulent saborder “des relations multiples de coopération confiantes et mutuellement bénéfiques”. Comme l'a si bien dit le président français, “l'incident est clos”, il n'y a pas de quoi en faire un plat, d'autant plus que le ministre des Moudjahidine, Chérif Abbas, bien que plus maladroitement encore que lors de sa première sortie, s'est fendu d'un démenti qui prend un virage à 180 degrés. En effet, il s'est dit, “étonné et mécontent” qu'on lui ait attribué des propos antisémites. Mohamed Chérif Abbas expliquait mercredi dernier qu'il ne peut “assumer les spéculations irresponsables d'un quelconque journal sur un chef d'Etat ami", avant de préciser que dans l'entretien qu'il avait accordé au journal El Khabar ,“il n'a jamais été dans son intention d'enfreindre le principe que respectent tous les responsables algériens et que lui impose son obligation de réserve, celui de ne jamais porter atteinte à l'image d'un chef d'Etat étranger”. Abdelaziz Bouteflika est sûrement passé par là. Zahir Benmostepha