Dans cet entretien, le premier responsable de cette association d'entrepreneurs, la plus importante du pays, situe les attentes des opérateurs locaux du partenariat avec les firmes françaises ainsi que les perspectives des relations d'affaires bilatérales, et évoque les difficultés de l'appareil de production face à la concurrence de la sphère commerciale avant d'aborder l'orientation future de l'économie nationale. Liberté : C'est la cinquième rencontre économique entre le Forum des chefs d'entreprise et le Medef (Mouvement des entreprises de France). Sur quoi portera-t-elle? Réda Hamiani : Cette nouvelle rencontre des hommes d'affaires algériens et français entre dans la cadre des relations régulières que le FCE et le Medef entretiennent au titre des travaux du Conseil des chefs d'entreprise algériens et français que les deux organisations ont mis en place en juin dernier afin de contribuer au renforcement des relations entre les deux pays. Le Medef est un partenaire de choix. Ce que nous souhaitons de ce partenaire, c'est une aide pour construire une économie plus compétitive, ouverte sur l'extérieur. En d'autres termes, tirer notre économie vers le haut. Cela suppose plus d'innovations, plus d'inventions et créations, pour donner des forces nouvelles à notre pays. Il faut le reconnaître, seuls nous ne pouvons pas. Un accompagnement, un monitoring de nos amis français sont souhaités. Le deuxième message adressé à nos partenaires français est d'accompagner l'économie algérienne pour qu'elle s'oriente davantage vers l'exportation. Il s'agit en fait d'accompagner les PME algériennes, en matière de normes, de transfert de technologie, les techniques de conditionnement… pour que les produits algériens ne soient pas bloqués par des réglementations, qui, parfois, sont très sévères en matière de normes. Sur ce volet, il faut savoir qu'aujourd'hui, le monde commercial est animé par des réseaux. Certes nous pensons à notre émigration, largement implantée, dans la distribution. Mais, il y a les réseaux français de distribution, les centrales d'achats, les réseaux de distribution, les grandes surfaces… Des entreprises algériennes, Cevital, Danone, Ulker, Trèfle pour ne citer que ces sociétés, commencent à exporter, vers le Tunisie, la Mauritanie et la Libye, mais rarement en Europe, un marché potentiel. Et à l'intérieur de l'Europe, le marché français est un des plus importants. Sète, la ville française, pourrait constituer un débouché pour les produits algériens. À l'image du pont logistique qui relie la ville d'Oran et la ville espagnole Alicante. Le pont fonctionne bien pour les exportations agricoles. À partir de ce point focal, les produits sont dispatchés. C'est ce genre de projets, très concrets, qui seraient intéressant de créer. Sur ce type de projets, nous ne comptons pas sur l'Etat et les administrations. Nous voudrions développer des synergies entre opérateurs. Nous n'allons pas faire le bilan. Sur ce plan, des progrès ont été réalisés. La France est devenue le premier investisseur hors hydrocarbures en Algérie. Elle pourrait même devenir cette année le premier, tous secteurs confondus, avec l'investissement annoncé par le groupe Total. Je crois qu'aujourd'hui, nous avons atteint un régime de croisière. Les contacts sont bons, avec l'installation d'un comité de suivi permanent, sorte de veille stratégique, à l'affût d'opportunités susceptibles d'intéresser des partenaires de chacun des pays. Nous voulons construire avec les Français des partenariats gagnant-gagnant, qui correspondent à notre situation, en partant de ce qui existe. Nous avons des secteurs qui bougent, l'agroalimentaire, la chimie. Nous allons les solliciter également pour que de leur côté, quand ils bénéficient de contrats publics importants, ils nous associent en tant que sous-traitants, partenaires. Il faut multiplier des entreprises comme l'ETRHB. Il faut qu'il y ait 10 à 20 sociétés de ce genre, dans la construction d'ouvrages de qualité et à forte valeur ajoutée. Il n'est pas normal qu'on soit exclu de ce type de contrat. En se frottant aux grands contrats internationaux, nos PME/PMI vont acquérir plus d'expertise, se développer, avoir une taille critique et devenir ainsi des champions. En 2006, les deux pays avaient identifié les industries automobile, pharmaceutique et agroalimentaire comme étant des axes prioritaires, le FCE ne s'inscrit-il pas dans cette logique ? Nous ne sommes pas contre la vision des autorités. Cela n'engage que moi, mais cela ne se décrète pas. Nous préférons partir d'un existant qui révèle les potentialités. Dans l'agroalimentaire, on existe, les entreprises sont mises à niveau. Elles respectent les normes. Elles commencent à exporter. Il faut un accompagnement pour développer cette filière. Dans les médicaments, il y a une carte à jouer. En 2003, l'Algérie importait pour 400 millions de dollars, la facture a atteint 1,2 milliard de dollars en 3 années. Ce n'est pas normal. Cela dépasse l'entendement. La politique de renforcement des capacités de production nous arrange. Les synergies qui seraient à créer sont les bienvenues, d'autant que dans le domaine du médicament, les Français sont les premiers. Ils couvrent, par rapport à ce qui est importé, 70% des besoins. Pour notre part, on considère que notre pays n'a pas à devenir un comptoir qui absorbe les produits étrangers. Il faut qu'il y ait une production. Seulement, les investisseurs étrangers, et notamment français, évoquent souvent le marché informel et la contrefaçon comme obstacle à l'investissement direct... Ce sont les messages que nous délivrons à nos autorités. Par rapport à ce que nous attendons d'elles : plus de régulation, plus d'encadrement. Nous croyons que les choses bougent dans le bon sens. Il y a une prise de conscience, il y a une volonté de nos autorités de régler ce problème. Les Français, en gros, marquent leurs intérêts pour notre économie, mais ils disent qu'il est plus facile de vendre que de produire. Nous concernant, nous ne voulons pas seulement la première partie, pour eux vendre et pour nous acheter. Avec leur soutien et leurs expertises, nous allons essayer de rendre plus attractif notre environnement. Nous allons demander aux autorités une zone franche industrielle pour régler le problème de nos amis français qui veulent investir. L'idée est simple, avec l'autoroute qui se construit, nous allons demander une surface de 40 ou 50 hectares que nous allons lotir, bâtir et gérer. C'est une solution concrète qui peut être proposée très rapidement aux Français, quand ils invoquent le problème du foncier, qui est réel. C'est une zone franche qui n'implique pas l'Etat. C'est une solution que nous allons proposer à nos autorités. L'autoroute donnera des perspectives intéressantes dans ce sens. Avec nos amis français nous allons vers le concret, en s'appuyant sur l'existant. Nous voulons plus de croissance. Plus de croissance veut dire plus d'industrie. L'industrie est le seul secteur capable de créer de la valeur ajoutée et des emplois. La difficulté de l'exercice, quand on observe le secteur industriel à travers le monde, il est organisé d'une part en productions tirées des pays à bas coûts salariaux, notamment la Chine. L'Algérie n'a aucune chance de se placer. D'autre part, notre pays n'est pas présent dans les productions haut gamme à forte valeur ajoutée. Du coup, il faut trouver un juste milieu, qu'on puisse tirer profit d'un partenariat technique et technologique avec les Français. Il faut réfléchir au positionnement de notre pays à l'échelle de la Méditerranée, au départ et ensuite à l'échelle mondiale Ce repositionnement exige des entreprises plus compétitives, en Algérie le programme de mise à niveau tarde à se mettre en place ? Il y a des mises à niveau qui sont absolument indispensables. Mais, il faut peut-être signaler l'émergence d'une nouvelle race de jeunes hommes d'affaires, plus compétents, plus agressifs, plus ouverts sur l'extérieur. Qui pense ouverture, marché maghrébin. Cependant dans la nouvelle économie qui se met en place, les secteurs qui réussissent sont la téléphonie, le commerce en général, la promotion immobilière avec un côté spéculatif inquiétant. L'industrie, elle, perd du terrain. Non seulement les entreprises industrielles n'exportent pas, mais elles perdent des parts de marché localement. Le monde industriel a des stratégies de survie. C'est une situation très préoccupante qui fait que la construction de la nouvelle économie est davantage orientée vers le commerce. Des raisons sont avancées pour expliquer cette situation. Beaucoup d'entreprises ont été sévèrement touchées par les pertes de change. Celles qui ne l'ont pas été ont contracté d'importants crédits auprès des banques. Par ailleurs, il est plus rentable d'investir dans la sphère commerciale que dans la production. Quand vous investissez 100 dinars dans le commerce, ce capital tourne deux ou trois fois dans l'année avec des marges substantielles et quand vous mettez 100 dans l'industrie, c'est un capital qui tourne une fois dans l'année, avec une marge beaucoup plus réduite. Il y a un rôle moteur joué par le commerce qui se fait au détriment de l'industrie. Cette tendance pourrait être inversée si l'on noue des partenariats avec les Français, à condition d'avoir des ressources humaines de qualité. M. R.