Tout en prenant acte de la condamnation de la colonisation par le président français, Noureddine Yazid Zerhouni estime que celle-ci est insuffisante et qu'il faut évoquer les problèmes communs avec franchise. Nicolas Sarkozy avait annoncé la couleur dès le premier jour de sa visite d'Etat en Algérie, soulignant qu'il était venu pour parler d'“avenir”. Non sans préciser que “parler d'avenir, ce n'est pas ignorer le passé”. Cependant, le président français avait tout l'air de donner sa propre version de ce passé. D'autant mieux qu'il s'est évertué à proposer aux Algériens un travail de mémoire revu et corrigé à travers un prisme déformant dont la vocation première donne paradoxalement l'extrême-onction à une hypothétique “repentance” tout en créant l'illusion de “la condamnation de la France coloniale”. Tout en nuances, le propos de Nicolas Sarkozy sur la repentance a évolué d'un ton au-dessous de ce qui était attendu de lui par les Algériens. C'est ce que relève d'ailleurs fort opportunément le ministre de l'Intérieur Yazid Zerhouni : la condamnation par Nicolas Sarkozy du système colonial “va dans le bon sens, mais ce n'est pas assez quand nous plaçons ces paroles dans leur contexte...” Il est vrai que le président français a usé de formules “choc”, mais tellement alambiquées qui sonnent agréablement à nos oreilles du genre “le système colonial a été profondément injuste, contraire aux trois mots fondateurs de notre République : liberté, égalité, fraternité”, mais c'est l'amalgame et le dosage, de formulations sibyllines dont il fait subtilement usage qui paraît détonnant. Superbe simulacre qui fait mine d'embrasser la question sensible de “la repentance” en évitant soigneusement l'essentiel. Ce qui ne pouvait, tout naturellement, pas échapper à des responsables algériens qui se sont inscrits pourtant dans la logique de Nicolas Sarkozy. Ce dernier réagissant aux propos du ministre algérien des Moudjahidine décrétait à un moment d'une grande ébullition dans l'Hexagone “l'incident clos”. L'Algérie prenant pour argent comptant cette déclaration a mis les formes, évitant soigneusement la présence protocolaire de Mohamed-Chérif Abbas à la descente d'avion du président français. Mais l'hôte de l'Algérie allait remettre ça, dans la foulée d'une rhétorique qui ressemble à s'y méprendre à un exercice périlleux d'équilibrisme. Et il semble bien que les déclarations du ministre algérien des Moudjahidine sont restées en travers de la gorge d'un Sarkozy évoquant l'antisémitisme avec une passion plutôt singulière pour quelqu'un qui voulait passer l'éponge. Son discours sur les questions économiques et l'avenir des relations algéro-françaises était clair et surtout franc. Ce discours le sera moins quand il s'est agi pour le président français de faire dans la rétrospective. À ce sujet, le ministre algérien de l'Intérieur et des Collectivités locales, Yazid Zerhouni, dans une réaction officielle, soulignait hier fort à propos : “Nous devons évoquer nos problèmes en toute franchise,” relevant auparavant que “les problèmes se compliquent lorsqu'il y a absence de communication”. Ce qui n'empêchait pas Yazid Zerhouni d'accorder au chef de l'Etat français des circonstances atténuantes tout en plaidant en faveur d'une perception “plus claire” des effets de la période coloniale. Nicolas Sarkozy ne voulait pas décevoir de ce côté-ci de la Méditerranée, cependant, il ne pouvait aussi et surtout décevoir ceux de l'autre rive. Ces derniers avaient d'ailleurs accueilli avec un grand soulagement la pirouette qui lui a permis d'évoquer la repentance sans devoir s'excuser. Les responsables algériens avaient bien compris la situation vraiment inconfortable dans laquelle se trouvait Nicolas Sarkozy pour l'avoir vécue et continuant à la vivre encore. C'est peut-être dans ce contexte qu'il faut comprendre Zerhouni quand il déclare : “Je ne sais pas si les excuses sont nécessaires, mais utiles elles le seront toujours.” Le retour d'écoute était donc à la dimension de ce qu'on pourrait appeler l'embarras du chef de l'Etat français. Le message avait été reçu, dirons-nous, cinq sur cinq. Dans cette veine, le ministre algérien de l'Intérieur rassurait cet invité de marque : “Je ne pense pas qu'il y ait des malentendus entre l'Algérie et la France et nous nous connaissons mieux l'un et l'autre. C'est incontestable”, a-t-il affirmé, ajoutant que “chacun de nous connaît les problèmes et les limites de son partenaire”. En effet, les responsables algériens savent pertinemment que s'ils font de ces excuses une nécessité, “ici et maintenant”, ils engagent les relations prometteuses franco-algériennes dans une impasse. Autant dire qu'à la faveur de cette visite d'Etat, ils accordent le sursis, le temps peut-être d'attendre et de voir venir. Car autant Sarkozy que Bouteflika n'ont aujourd'hui cette marge de manœuvre nécessaire pour crever définitivement l'abcès du contentieux historique algéro-français. Les deux présidents restent prisonniers chacun d'un contexte qui leur impose des lignes à ne pas franchir au risque de rompre certains équilibres. Du moins dans une conjoncture donnée. D'autant que les choses peuvent évoluer dans le sens que voudraient leur impulser les deux chefs d'Etat. Dans l'état actuel des choses, manifestement Nicolas Sarkozy même s'il le voulait, reste quand même dans l'impossibilité de faire des excuses officielles à l'Algérie. Et on peut en dire autant de Abdelaziz Bouteflika s'il voulait renoncer à cette exigence. Mais ce n'est pas pour autant qu'ils doivent renoncer à construire un avenir commun. Zerhouni, le dit : “Il existe, en France comme en Algérie, des personnes qui restent convaincues que nous sommes condamnés à croire en une amitié possible et à construire une solidarité fiable.” Zahir Benmostepha