Que retenir de la visite de Sarkozy en Algérie ? Pas grand-chose, sauf des contrats d'affaires d'une valeur de cinq milliards d'euros. De quoi donner du mou à la trésorerie française en sérieuses difficultés du fait d'une économie qui n'arrive pas à trouver ses marques dans le nouveau monde et d'un système social exceptionnel en Occident, mais dont le coût dépasse largement les capacités de la France. Plus de cinq milliards ! C'est spectaculaire, s'est félicité un proche de Sarkozy lors de la cérémonie de signatures des contrats commerciaux, qui a vu défiler, l'un après l'autre, les patrons de la force de frappe de l'économie française : Total, Gaz de France, Alstom, la RATP et d'autres. Les commandes algériennes additionnées à celles engrangées par Sarkozy juste avant son arrivée en Algérie, à l'issue de son voyage en Chine, ont redonné ses couleurs à la ministre française de l'Economie qui ne savait plus quoi faire pour calmer l'impatience des Français à un niveau de vie supérieur que leur a promis Sarkozy et pour lequel ils l'ont élu. Il est bon de le dire aux Français : le carnet de commandes algériennes va assurément diminuer le spectre de la récession dans leur pays, préserver, voire créer de nouveaux emplois et leur permettre ainsi de ne pas vivre sous la hantise de voir leur pouvoir d'achat chuter plus. Sarkozy, qui se désolait après les grèves de novembre de ne pas avoir d'argent, est servi. Evidemment, la partie algérienne enregistre elle aussi des gains. Gageons seulement que le travail sera bien fait et surtout que les Français ne seront plus chiches pour transférer du savoir-faire et, à ce niveau, il faut reconnaître que la France est encore au top. Quant à l'aspect politique de sa visite, Sarkozy n'aura pas plié sur la repentance bien qu'il ait tout de même reconnu à plusieurs reprises que la colonisation restait de la colonisation. Pour l'Algérie, c'est mieux que ses certitudes sur les bienfaits de la colonisation, mais cela reste encore très insuffisant. Sur les autres sujets, le président français s'en est tiré avec des déclarations d'intention, comme pour son histoire de partenariat stratégique qu'il propose d'empaqueter dans son grand chantier d'union méditerranéenne. L'Algérie demande poliment à voir. Donc, tout reste à faire dans le domaine des relations politiques si la France veut vraiment forger un pont avec son voisin du Sud dont pourtant, et Sarkozy l'a reconnu aussi bien à Alger qu'à son ultime étape constantinoise, tout concourt à sa réalisation : le poids de l'Algérie, des intérêts stratégiques en partage et, surtout, une histoire commune marquée encore par la présence d'une forte communauté algérienne en France et/ou d'origine algérienne. Mais là aussi, pour aller de l'avant comme l'a si bien conseillé Sarkozy tout au long de ses trois journées en Algérie, il faut impérativement passer par l'assainissement des frictions et embarras psychologiques. La France devra, tôt ou tard, crever l'abcès de son histoire coloniale et se départir de ses louvoiements malsains et improductifs qui jettent de l'huile sur le feu. Il reste que l'Algérie a été jusqu'à exhausser son rêve gaulliste en lui organisant une messe, et s'en est une avec son discours œcuménique à Constantine, pourtant ville conservatrice. C'est de cette ville perchée et vertigineuse que le général de Gaulle s'adressa par deux fois aux Algériens : en 1943 pour leur annoncer des mesures libérales améliorant d'un tout petit cran, après plus d'un siècle de colonisation noire, leur statut, et en 1958 pour lancer son “Plan de Constantine”, avec lequel la France pensait garder l'Algérie dans son giron même une fois indépendante. Sarkozy, qui a reçu lors de sa virée à Tipasa un exemplaire du livre d'Albert Camus, Les Noces, devrait savoir que l'harmonie dans un couple se bâtit à deux. Les relations entre nos deux pays ne pourront exploser que si des efforts sont consentis de part et d'autre, et lorsque ces pesanteurs qui remontent à la surface de façon récurrente ne trouveront plus de terrain propice à leur résurgence. L'histoire, et Sarkozy feint de l'oublier dans le cas spécifique des Algériens, ne s'efface pas et ne saurait se contenter d'ersatz. D. Bouatta