Jusqu'à hier, Ali Benflis n'a remis aucun document demandant au chef de l'Etat de le décharger de ses fonctions. Il gère les affaires courantes en attendant que Bouteflika prenne sa décision. “Je ne démissionnerai pas”, affirmait Ali Benflis, le 17 avril dernier, à partir de Nouakchott, la capitale mauritanienne où il était en visite officielle de deux jours. Et toujours contrairement aux rumeurs sur sa démission, le Chef du gouvernement n'a, selon une source crédible, jusqu'à hier, déposé sur le bureau du président de la République aucun document dans lequel il demande d'être déchargé de ses fonctions. Le responsable de l'Exécutif campe sur sa position même s'il sait depuis plusieurs semaines déjà que la cohabitation est devenue de l'ordre de l'impossible avec Abdelaziz Bouteflika. Il attend, indique la même source, que celui-ci, qui tarde au demeurant à passer à l'acte, le lui signifie lui-même. Et en attendant, Ali Benflis, pour ne pas faillir à ses responsabilités d'homme d'Etat, gère les affaires courantes. Entre lui et le chef de l'Etat, le courant ne passe plus. Les deux hommes semblent définitivement inconciliables. Le fossé qui les sépare est immense. Mais quelles sont, en fait, les raisons du divorce entre le Chef du gouvernement et le président de la République ? Il est indéniable que, depuis quelques mois déjà, les visions de l'un et de l'autre sur la politique économique ont pris des chemins parallèles. Les choix de Bouteflika, qui ont provoqué le tollé dans le monde du travail, n'ont guère plu à Ali Benflis qui n'a pas manqué de lui faire connaître ses positions à maintes reprises. Le Chef du gouvernement et secrétaire général du FLN s'est clairement opposé à l'avant-projet sur les hydrocarbures présenté par Chekib Khellil, en proposant au passage à la Centrale syndicale de Sidi Saïd, qui ne lui a pas caché sa sympathie, un pacte social. Cette démarche n'a pas plu au chef de l'Etat qui a été contraint sous la pression des travailleurs à revoir sa copie en retirant le projet. Mais si les divergences entre les deux responsables de l'Etat ont éclaté au grand jour sur les choix économiques, elles se sont considérablement accentuées après le huitième congrès du FLN. Ali Benflis à qui on prête, çà et là, l'intention de se présenter à l'élection présidentielle d'avril 2004, a été tout simplement plébiscité par près de 2 000 congressistes qui lui ont mis entre les mains le parti majoritaire à l'Assemblée populaire nationale en le propulsant au poste de secrétaire général pour une période de cinq années avec des pouvoirs élargis qu'aucun responsable du parti n'a eus auparavant. Mais là n'est pas la question qui aurait le plus irrité le chef de l'Etat dont la candidature pour un second mandat à El-Mouradia a été confirmée, il y a moins de deux semaines, pas Amar Saïdani, le coordinateur de ses anciens comités de soutien, à partir de Blida. C'est la nouvelle ligne imprimée au FLN qui, selon notre source, est à l'origine de la colère de Bouteflika qui voit le parti qui l'avait soutenu, en premier, lors de l'élection d'avril 1999, se mettre au travers de ses ambitions politiques. Ali Benflis l'a souvent répété : “Le FLN est désormais un parti indépendant, autonome, souverain dans ses décisions.” Avant-hier, à l'occasion du séminaire de formation des élus locaux des wilayas du Centre, il le dira encore : les militants du parti “n'ont pas besoin de tutelle, ils savent très bien où résident leurs intérêts”. “Je ne suis pas de ceux qui ont fui le pays,” ajoutera Ali Benflis avant de marteler : “On est en 2003, nous sommes dans une autre Algérie et nous militons pour plus de liberté et plus de démocratie.” L'autre question qui sépare le Chef du gouvernement du président de la République est, par ailleurs, la crise de Kabylie. Contrairement au chef de l'Etat qui a laissé pourrir la situation, notre source révèle que Ali Benflis est plutôt favorable à un dialogue franc avec le mouvement citoyen. Il avait même dit un jour qu'il était “prêt à aller planter une tente en Kabylie pour n'en revenir qu'avec une solution qui arrangerait tout le monde”, c'est-à-dire, une fois la crise réglée. Qui a donc empêché Benflis de se rendre en Kabylie ? Ce sont, en fait, tous ces problèmes qui ont fait qu'aujourd'hui le divorce est consommé entre les deux hommes. Selon notre source, au moment où le Chef du gouvernement attendait un signe de Bouteflika, les tractations avaient déjà commencé. Seulement, le président de la République trouverait des difficultés à lui trouver l'homme de rechange. Bouteflika ira-t-il jusqu'à puiser en dehors du parti, entre autres, qui l'a porté à la présidence ? Le FLN est le parti majoritaire à l'APN ; en faire fi, c'est passer outre les règles de la démocratie qui voudraient qu'un Chef de gouvernement fût toujours puisé dans le parti majoritaire. Dans ce cas, que resterait-il des acquis démocratiques arrachés dans la douleur par les Algériens ? Si, par ailleurs, le chef de l'Exécutif est choisi parmi les militants du FLN et ce, sans consulter la direction nationale, ce serait également installer un Chef de gouvernement n'ayant aucun soutien de la base encore moins des hautes instances du parti. Des observateurs de la scène politique, et au fait des choses du sérail, privilégient la piste de l'actuel ministre des Transports, en l'occurrence Abdelmalek Sellal. Celles de Saïd Barkat et Abdelaziz Belkhadem seraient définitivement abandonnées. C'est enfin la difficulté de trouver un remplaçant à Ali Benflis qui fait que Abdelaziz Bouteflika tarderait à prendre la décision de le limoger. Il prend selon notre source toutes les précautions pour ne pas gâcher ses chances pour le rendez-vous présidentiel de 2004, lui qui a déjà cassé la coalition l'ayant porté à El-Mouradia. S. R.