Téléspectateur attentif de la Coupe d'Afrique 2008 qui vient de consacrer l'Egypte “Oum Ifriqya” pour la sixième fois de son histoire, la seconde consécutive, le Ballon d'or 1981 Lakhdar Belloumi revient, avec sa lucidité habituelle et sa juste vision des choses coutumières, sur les raisons logiques qui ont fait de l'Egypte de Hassen Chehata une impressionnante machine à gagner de classe mondiale. L'éditorialiste de Liberté Foot n'a, bien évidemment, pu s'empêcher de faire un parallèle fort intéressant avec ce qui se passe au pays des Fennecs, tout en dressant un petit tableau comparatif avec les méthodes gagnantes du voisin égyptien. “Pour avoir bien suivi cette CAN et en particulier les prestations de l'Egypte, je peux affirmer sans exagération aucune que cette équipe est la meilleure équipe égyptienne de tous les temps. Avec l'équipe nationale, nous avons affronté pas mal de fois l'Egypte durant les années 1980, mais aucune équipe égyptienne ne m'a paru aussi forte que celle qui vient de remporter par deux fois consécutivement la CAN. Cette formation joue vraiment du football de très haut niveau, le meilleur d'Afrique sans aucun doute. Avant de constituer une équipe, il paraît clair que c'est un groupe homogène qui vit bien ensemble. Il n'y a pas de soi-disant stars, contrairement au Cameroun ou à la Côté-d'Ivoire, que les Egyptiens ont d'ailleurs tout simplement corrigés avec l'art et la manière. C'est également une équipe très régulière et dont le sacre ne doit rien au hasard. Elle a entamé le tournoi en force, elle l'a terminé également en force. Elle n'a jamais baissé de rythme. C'est un signe révélateur qui ne trompe pas. Le signe des grandes équipes", dira ainsi l'ex-international à propos des récents vainqueurs du tournoi d'Accra. “Les Egyptiens n'ont pas le complexe du joueur étranger” Pour l'inoubliable numéro dix des Verts, “la première leçon à tirer du sacre égyptien, c'est qu'au pays des Pharaons, le complexe vis-à-vis de tout ce qui est étranger n'existe pas. La plus belle preuve est qu'en dépit de son statut de professionnel qui évolue dans un aussi grand club que le Hambourg SV, Mohamed Zidane est resté tout de même remplaçant. C'est dire la qualité de leurs joueurs locaux, d'un côté, mais aussi et surtout la droiture de l'entraîneur Hassène Chehata qui n'a pas favorisé Zidane pour la simple raison qu'il évolue à l'étranger. L'Egypte a donné une leçon à tous les autres pays complexés et obsédés par l'idée de l'étranger. Son équipe est constituée, dans sa grande majorité, de joueurs qui évoluent dans le championnat égyptien. L'ossature du double champion d'Afrique est issue du championnat égyptien. C'est la meilleure preuve de la qualité de ce championnat et de la valeur des éléments qui évoluent au pays. En Egypte, la question de la dualité “pro-locaux” n'a pas sa raison d'être”. “Un championnat fort, voilà ce qu'il nous faut” Tout en précisant que “cette méthode justement était appliquée chez nous il y a plus de vingt ans avec le succès que l'on sait”, Lakhdar Belloumi estimera que “de toutes les façons, en Algérie, il faudrait revenir tôt ou tard à la fameuse recette qui veut qu'une équipe nationale performante puise sa force dans la qualité de son championnat, et non dans les quelques individualités qui évoluent à l'étranger, encore que les nôtres n'évoluent pas dans le même registre, ni dans le même palier que ceux des autres pays africains”. “Nous ne pouvons pas aspirer à réussir grand-chose avec une équipe cent pour cent pro. Même la Côte-d'Ivoire, avec ses lumières, n'y est pas parvenue. Dans notre cas, il n'y a qu'à voir également le double désastre de la non-qualification aux CAN 2006 et 2008. Avec la même “recette”, on ne peut que récolter les mêmes résultats”, soulignera notre interlocuteur et d'enchaîner : “En parallèle, le sélectionneur national convoque une équipe composée essentiellement de joueurs évoluant en Algérie. Comme je l'ai mentionné dernièrement, c'est une louable initiative, à condition que ce soit ces éléments-là, les meilleurs et prometteurs jeunes joueurs du championnat, et non pas les plus âgés et ceux qui jouent en France seulement, qui prennent part aux compétitions officielles, aux éliminatoires de la CAN et du Mondial afin d'acquérir de l'expérience, de la maturité, de se frotter au haut niveau continental à même de constituer enfin un groupe compétitif. C'est avec cette manière d'agir que l'Algérie a réussi ses meilleurs résultats. Souvenez-vous de la réforme de 1977 et de son impact sur le mode de vie du sport roi national. Trois ans après seulement, nous avons atteint la finale de la CAN au Nigeria. Les fruits de ce travail sérieux, ce sont six phases finales de Coupe d'Afrique (80, 82, 84, 86, 88 et 90), ainsi que deux phases finales de Coupe du monde (82 et 86). Avec une EN composée de joueurs locaux, auxquels sont venus s'ajouter les meilleurs professionnels, l'Algérie a toujours été en haut de la hiérarchie continentale. Or, ces dernières années, notre EN est composée dans sa grande majorité de joueurs évoluant à l'étranger, dans de petits clubs, pour les résultats que tout le monde connaît. Pourquoi un Boutabout, à titre d'exemple, est-il sélectionné alors qu'un Bourahli ne l'est pas, alors que le second nommé est bien meilleur ? Il est de fait plus qu'urgent de méditer sur l'exemple égyptien et se dire qu'on fait fausse route. Il serait illusoire de croire qu'avec les mêmes méthodes qui ont conduit à un double échec retentissant, nous parviendrons à nous qualifier à la prochaine Coupe du monde.” D'après le récent lauréat de l'Ordre du mérite d'argent de la CAF, “la meilleure solution serait donc de revenir à la base. À savoir le travail sérieux et professionnel au niveau des clubs, tout comme cela se faisait dans les années 1980, afin d'avoir de nouveau un championnat fort et de niveau appréciable. La crème des meilleurs joueurs de ce championnat constituerait le noyau dur de l'EN, tout comme cela se faisait à notre époque, dit-il, pour la simple et bonne raison que les joueurs qui évoluaient en Algérie n'avaient rien à envier à ceux qui jouaient en Europe. Les regroupements fréquents, les stages et les matches amicaux doivent d'ailleurs se multiplier afin de créer cette homogénéité et cet esprit de groupe si nécessaire à une EN. Et en se basant sur les locaux, il n'y aura pas de problème de calendrier, de programmation des regroupements ou de l'exportation des stages en France ou ailleurs comme cela se fait actuellement”. “Mais, cela ne se fera pas du jour au lendemain”, avertira Belloumi et de renchérir : “Il faut réfléchir et songer à un travail à moyen terme. Cela va être décevant et dur de l'annoncer, mais à mon avis, il faudrait très certainement sauter 2010 et penser plutôt à 2012 et à 2014. Cela pour la simple et bonne raison que nos joueurs locaux n'ont pas encore le niveau pour constituer une performante EN et qu'avec les professionnels actuels, nous ne pourrons pas nous qualifier à la Coupe du monde. C'est la cruelle mais implacable vérité du terrain.” “Pour revenir à l'exemple égyptien, il n'y a qu'à voir la manière avec laquelle le tournoi a été géré pour comprendre que nous avons non pas un train, mais des trains de retard. Nous n'avons pas entendu parler d'une prime, d'un barème ou d'une quelconque autre question d'argent. Même le sélectionneur Chehata a été augmenté sans qu'il ne le sache, après que la décision eut été prise par le gouvernement égyptien. Chez nous, avant même de penser à former une bonne équipe nationale ou d'insister sur l'honneur et l'amour du maillot, la question des primes et barème a été le sujet principal d'un stage en France et fait la une des journaux. Qu'on fixe alors la prime d'un milliard pour une qualification à la Coupe du monde, alors qu'on n'a même pas été capables d'accrocher le dernier wagon menant au Ghana, c'est plus que de l'indécence. C'est annoncer l'échec avant même d'avoir commencé”, conclut Lakhdar Belloumi. A. Karim