Dans cet entretien, le représentant de cette institution financière internationale fournit des détails sur le nouveau programme d'assistance à l'Algérie et met le doigt sur les contraintes à l'investissement. Liberté : A combien évaluez-vous les engagements de la Banque mondiale en Algérie ? M. Gilles Garcia : La Banque Mondiale a un portefeuille de 14 projets. Le dernier, de 95 millions de dollars, a démarré la semaine dernière. Ce qui représente des engagements de l'ordre de 685 millions de dollars. Ce sont des projets qui s'étalent sur quelques années. Ils concernent le développement rural, le logement, le renforcement des capacités des administrations, la reconstruction du quartier de Bab El-Oued. Nous avons, par ailleurs, 6 autres projets dans les domaines de l'eau, les secteurs sociaux et la gestion des déchets d'ici à 2006. La Banque mondiale prépare un plan stratégique d'assistance à l'Algérie. Où en est le dossier ? Le processus du CAS (Country Assistance Strategy), un cadre d'assistance de la Banque mondiale à l'Algérie, a démarré en 2002. Une équipe très importante d'experts de la Banque mondiale a travaillé pendant 14 mois pour faire l'audit de toute la société algérienne, dans ses différents domaines. Moi, je suis particulièrement le secteur privé. Il y a eu une enquête menée auprès de 600 entreprises. Une autre a concerné 54 groupes d'investissement étrangers, ainsi qu'une étude sur le climat d'investissement en Algérie. Nous sommes à l'étape de la rédaction du document qui s'achèvera à la fin de ce mois. C'est la manière avec laquelle la Banque mondiale travaille. On procède, en concertation avec la société civile, le secteur privé, le Parlement et le gouvernement, à un audit du pays. On relève les besoins. On se met d'accord sur le cadre et, ensuite, c'est le gouvernement qui décide, en fonction des autres bailleurs de fonds, de ses priorités, des projets qu'on est appelé à réaliser ensemble. Ce plan, en version finale, sera présenté au conseil d'administration de la Banque mondiale le 29 mai prochain. Une fois adopté, il sera rendu public. Vous aurez toute l'information que vous voulez. A partir de là, nous continuerons notre relation avec le gouvernement algérien. La Banque mondiale ne fait rien sans l'aval du gouvernement algérien. C'est le gouvernement algérien qui est responsable devant les Algériens. C'est lui qui décide de ses priorités. C'est lui qui décide comment l'utiliser. Ce qui est important, c'est qu'on partage la même vision des choses avec la société civile, le secteur privé et le gouvernement. Le CAS, c'est une analyse des forces et des faiblesses de l'Algérie, des progrès réalisés, des priorités sur lesquelles l'Algérie devrait se concentrer. Dans la stratégie du secteur privé, il y a 12 chapitres et dans les douze chapitres, chacun traite des priorités et de la description des secteurs. On parle des retards des privatisations, de pénurie de terrains industriels, de la difficulté d'accès au financement, de la faiblesse des ressources humaines et des infrastructures. Ce plan prévoit-il des conditionnalités ? Evidemment. C'est un prêt. Quand vous allez chez un banquier, quand vous empruntez de l'argent, il y a des conditionnalités. On vous demandera par exemple des garanties, la destination de l'argent, si vous avez un travail. Je schématise, mais c'est pareil lorsque l'Algérie emprunte. Elle va devoir rembourser. Ce qui est important, c'est que l'on soit d'accord sur les responsabilités et les devoirs de chacun. Et donc, les conditionnalités sont quelque chose d'absolument normal. Les conditionnalités sont liées au projet. Ce ne sont pas des conditionnalités générales. On se met d'accord sur la manière dont le projet va être développé. Sur les objectifs à court, à moyen et à long terme. Le déboursement du prêt se fait par tranches, en fonction de l'évolution du projet. Et encore une fois, ce ne sont pas des conditionnalités qui sont imposées, puisque c'est l'Algérie qui décide. Vous avez présenté le CAS comme l'analyse des forces et des faiblesses de l'Algérie. Peut-on connaître quelles sont justement ses forces et ses faiblesses ? Il y a eu 80 personnes qui ont travaillé, pendant 14 mois, sur ce CAS dans tous les domaines. Moi, je n'ai pas suivi tout le travail. J'ai travaillé particulièrement sur le secteur privé. Je ne sais pas quelle était l'analyse qui a été faite du secteur social ou du secteur éducatif. On a interrogé 54 entreprises en France, Espagne et Italie, alors les points forts de l'Algérie sont : les affinités culturelles, le marché intérieur, le coût de la main-d'œuvre et la politique vis-à-vis des investissements étrangers relativement intéressante. Pour les points faibles, ces entreprises parlent de l'incertitude et de l'instabilité politiques, du manque de clarté dans l'application des lois et des règlements et ensuite de la corruption et du problème de gouvernance. Ce que veulent les investisseurs, c'est avoir de la lisibilité à long terme. Quelle est votre appréciation sur le processus de privatisation en Algérie ? Il y a eu quatre lois de privatisation et seulement trois entreprises privatisables. Pour l'instant, les privatisations n'ont pas véritablement avancé. Nous pensons que la privatisation doit aller de l'avant. Donc, il faut une volonté politique pour privatiser. Evidemment, il y a un coût social. Mais par rapport au coût social engendré par les 250 000 nouveaux arrivants sur le marché du travail chaque année, il faut faire un choix. L'Etat a des ressources limitées, il ne pourra pas éternellement supporter le poids du secteur public. Autant consacrer les ressources à bâtir un environnement favorable à l'investissement étranger et au développement du secteur privé, plutôt que de se substituer à celui-ci. Et le fait de ne pas privatiser envoie des signaux négatifs aux investisseurs extérieurs, et même au secteur privé. Justement, en matière d'IDE, la part de l'Algérie apparaît très faible ? La part de l'Algérie est inférieure aux voisins. L'Algérie est moins attractive. L'Algérie est beaucoup plus proche des pays comme la Syrie et la Libye que des pays réformateurs comme le Maroc, la Tunisie ou l'Egypte. Il est vrai que la volonté de réformer l'économie existe, mais c'est le passage à l'acte qui pose problème. Un rapport de la Cnuced classe l'Algérie au 111 rang mondial dans son index de la performance des investissements directs étrangers pour les années 1998 à 2000 et au 96 rang mondial pour l'index du potentiel des investissements directs étrangers. L'Algérie est en concurrence avec d'autres pays. Je vous signale que le volume des investissements directs a baissé à travers le monde. Il est de 147 milliards de dollars actuellement. La Chine engrange 50 milliards de dollars par an. Il faut un climat d'investissement favorable. Un secteur public trop important, un gouvernement qui dit vouloir privatiser, mais il ne le fait pas. Ce sont autant de signaux négatifs à la communauté internationale. C'est perçu comme tel. Il est important de repositionner l'Etat en tant que régulateur et de faciliter l'émergence d'un secteur privé très dynamique en améliorant le climat des affaires. Si on veut de la croissance, il faut qu'il y ait des investissements extérieurs. Il faut que les entreprises puissent avoir accès aux services financiers, au foncier. Il faut une administration qui ne soit pas tatillonne. En Tunisie, pour enregistrer une entreprise, vous mettez seulement une demi-journée. En Algérie, le délai est beaucoup plus long. Il faut développer des infrastructures de qualité, renforcer le cadre du système judiciaire, jugé actuellement très défavorable. La croissance moyenne, ces trois dernières années, est aux environs de 3%. Pour absorber le chômage et voir le niveau de vie de la population augmenter, il faut des taux de croissance de 6 à 7%. Et c'est pareil à toute la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. On estime que, dans toute la région, il faut, dans les dix prochaines années, créer 50 millions d'emplois. En l'Algérie, en ce qui concerne la stabilité macroéconomique, elle est excellente. L'inflation est maîtrisée. Les réserves sont importantes. Mais ce n'est pas suffisant pour attirer les investissements étrangers. F. M. / M. R.