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“Comment j'ai été limogé”
Conférence de presse de Ali Benflis
Publié dans Liberté le 07 - 05 - 2003

L'ex-Chef du gouvernement a révélé de graves pratiques au sein des hauts cercles de l'Etat. Il y a, dans ses déclarations, de quoi susciter une grande stupéfaction. Récit.
Au lendemain de son limogeage de son poste de Chef du gouvernement par le président de la République, Ali Benflis a organisé, hier, au siège du FLN, une conférence de presse. Comme il l'avait promis lundi à sa sortie du palais d'El-Mouradia, l'ex-patron de l'Exécutif a relaté, dans le détail, l'histoire de son départ forcé.
D'emblée, M. Benflis affirme ne trouver aucune justification à la décision de M. Abdelaziz Bouteflika de le démettre de ses fonctions, en dehors des “calculs liés à l'élection présidentielle de 2004”. Un des hauts responsables de la présidence de la République — qui serait le chef de cabinet du Président, Larbi Belkheir, a bien signifié à Benflis que son sort à la tête de l'Exécutif ne tenait qu'à lui. Ce “haut responsable”, qui a pris le soin de préciser que le “conseil” relevait de sa seule initiative, une manière de préserver l'image du chef de l'Etat —, lui a dit : “Il est tout à fait clair que le seul différend entre vous et le Président est l'élection présidentielle. Il vous suffit d'annoncer personnellement et au nom de votre parti votre soutien à Bouteflika dans la perspective de sa réélection pour que vous restiez Chef du gouvernement. De toute façon, vous n'y perdrez rien !”
Ali Benflis, soucieux de révéler les conditions, visiblement peu orthodoxes de son limogeage, a indiqué que le “haut responsable” dont il parle l'a reçu dans son bureau, un endroit où semblent se dérouler bien des évènements décisifs. Interrogé sur son identité, le secrétaire général du FLN se contentera de dire : “Je citerai son nom plus tard. Je le citerai !” En tout cas, sa réponse à la proposition qui lui a été faite a été aussi ferme que catégorique. Elle rompt incontestablement avec les mœurs politiques en vigueur en Algérie ; des mœurs, il est vrai, longtemps d'usage au FLN et dans les appareils de l'Etat. “Vous oubliez que vous avez en face de vous un bâtonnier ayant toujours refusé le chantage et le marchandage”, a-t-il répliqué. Ali Benflis, qui déclare que le président de la République ne l'a pas saisi personnellement aux fins d'obtenir sa démission, soutient qu'il n'acceptera jamais que le FLN devienne un parti alibi obéissant aux injonctions, “un rôle qu'on aurait aimé lui faire jouer”. Pour lui, “l'Algérie ne peut gagner dans la confusion entre les affaires de l'Etat et les intérêts partisans. Nous nous revendiquons de la vraie démocratie où les partis politiques doivent jouer leur rôle et se montrer en mesure de proposer un projet pour le pays”. La seule voie permettant d'éviter les crises est de faire la distinction entre les missions de l'Etat et celles des partis politiques, enchaîne-t-il.
“N'est pas FLN qui veut”
Cette conviction a amené Ali Benflis à affirmer qu'il demeure le patron de la formation majoritaire dans le pays ; de ce fait, son successeur au Palais du gouvernement, autant que le chef de l'Etat, est prié d'en tenir compte de manière sérieuse au moment de la décision. Le FLN dispose tout de même de 200 députés à l'Assemblée nationale ! L'issue finale du programme du gouvernement Ouyahia dépendra exclusivement de la volonté de ces élus. En insistant sur le fait que son successeur ait été choisi en dehors de la majorité, ce qui représente déjà une entorse à la morale politique, Benflis a clairement fixé les conditions de la participation du FLN à la prochaine équipe gouvernementale. Tenant visiblement à rompre avec les pratiques du passé, jusque-là décriées uniquement par les partis de l'opposition, le Chef du gouvernement déchu lance un message direct aussi bien à
Ouyahia qu'à Bouteflika : “Nous sommes soucieux du fonctionnement normal des institutions de l'Etat, mais notre participation au gouvernement est soumise à deux conditions fondamentales. Nous demanderons à prendre part à l'élaboration du programme et à désigner nous-mêmes nos ministres au sein de l'Exécutif”, car, dira M. Benflis, “n'est pas FLN qui veut”. Il existe, a-t-il reconnu, des personnes “chargées de missions au sein du parti, mais elles sont minoritaires.” Il fait, en la circonstance, allusion à Saïd Barkat et à Amar Saïdani. Le premier, non satisfait du sort que lui avait réservé le huitième congrès tenu en mars dernier, a rendu publique une lettre dans laquelle il a vivement critiqué la gestion du parti et le déroulement du congrès. Le second, qui n'est autre que le coordinateur principal des comités de soutien à Bouteflika, vient d'annoncer, à partir de Blida, la candidature de ce dernier à un second mandat. A propos justement de l'élection présidentielle de 2004, le secrétaire général du FLN n'a ni démenti les intentions qu'on lui prête ni confirmé son éventuelle candidature. Il remet son sort entre les mains de ses militants qui devraient se réunir en congrès extraordinaire en octobre ou en novembre prochain. “Je suis à la disposition du parti dont le congrès a ses attributions souveraines, je suis un militant discipliné”, explique Ali Benflis qui, vu la gravité du moment, a sans doute jugé inopportun de trancher immédiatement la question.
Les réformes bloquées
Il s'est longuement étalé, cependant, sur les difficultés rencontrées durant les 33 mois passés à la tête de l'Exécutif ; des entraves qui n'ont cessé, en fait, d'alimenter ses désaccords avec le président de la République. Il ressort de ses déclarations d'hier que les divergences ont porté sur des questions fondamentales. L'ex-responsable de l'Exécutif a affirmé n'avoir jamais vraiment joui, dans l'exercice de ses fonctions, des prérogatives reconnues à un Chef de gouvernement. On se souvient qu'au moment de sa démission, Ahmed Benbitour, son prédécesseur à El-Mouradia, avait évoqué les mêmes motifs. “Je n'ai jamais signé, ne serait-ce qu'un décret exécutif”, s'indignera Ali Benflis qui reproche, notamment, au président de la République le blocage du projet de loi organique relatif à la magistrature adopté pourtant il y a plus de trois mois par le Conseil de gouvernement. “Le texte du projet de loi, inspiré des recommandations de la commission de la justice présidée par le professeur Issad n'a pas été soumis en Conseil des ministres, présidé par le chef de l'Etat”. Les divergences, formulées dans le désordre, sont des points essentiels à la pratique démocratique. Leur importance grandit dès lors qu'il s'agit d'un pays ambitieux comme l'Algérie. Ali Benflis les énumérera tel un chapelet de prières récitées par un pieux. Nous demandons, a-t-il insisté, davantage de liberté, de liberté de presse, d'indépendance pour le pouvoir judiciaire et les collectivités locales, davantage de pouvoir pour les instances législatives et plus de morale dans la politique. “La politique est une affaire de conviction, et moi je suis un homme de conviction”, a-t-il martelé. Etouffé, marginalisé, humilié, l'ex-Chef du gouvernement attendait vainement un miraculeux renversement de situation. Il a longtemps espéré récupérer ses prérogatives, mais il a dû se résigner.
Les divergences ont aussi porté sur un dossier crucial et sensible, celui de la Kabylie. A ce sujet, Benflis a laissé entendre qu'il a été empêché de trouver une issue à une tragédie qui dure depuis plus de deux ans. “Je n'ai malheureusement pas pu régler cette crise, mais je suis convaincu que la solution est possible. Les citoyens de Kabylie sont des Algériens et ne diffèrent pas de ceux de Laghouat ou des Aurès. Ils souhaitent être écoutés et considérés et ne souhaitent que du bien pour leur pays.” Il fallait, selon lui, dialoguer avec toutes les tendances du mouvement citoyen, radicales ou autres. Là également, l'allusion est transparente : Yazid Zerhouni, un des hommes du président Bouteflika, a multiplié les déclarations incendiaires envers les délégués, parlant récemment de parties extrémistes. Dans un de ses points de presse qu'elle organise au Centre international de la presse, Mme Khalida Toumi, porte-parole du gouvernement, avait déclaré que Ali Benflis devait se rendre en Kabylie “dès que son calendrier le permettrait”. “Je devais y aller ce mois de mai”, a confirmé, hier, le concerné.
Le secrétaire général du FLN pense paradoxalement que son départ du gouvernement, synonyme de divorce d'avec le Président, devrait être assimilé à la fin d'une crise, non à son début.
S. R. / L. B.


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