Les plaidoiries de la défense se sont poursuivies hier à la salle de l'INH de Boumerdès qui abrite le procès du séisme de mai 2003. Boumerdès. De notre bureau Les cinq avocats qui se sont succédé au prétoire ont tous cherché à convaincre le juge que leurs mandants, accusés de fraude et de non-respect de la réglementation et des normes de construction ayant entraîné des morts et des blessés lors de la catastrophe de mai 2003, sont innocents. Dans ce volet, les robes noires se sont appesanties sur les détails techniques tout en livrant des « preuves matérielles » que les travaux avaient été faits correctement. Chacun d'eux affirme en effet posséder toutes les pièces retraçant la bonne exécution des travaux du début jusqu'à la fin. Et ils remettront leurs dossiers au juge pour le convaincre. Mais c'est maître Bourayou qui, par un plaidoyer incisif où il étalera tout son talent, abordera la question sous tous ses aspects. La force de la nature, la responsabilité politique, la définition des missions des uns et des autres, les pesanteurs extrajudiciaires... L'avocat des accusés du dossier des 60 logements de la SNTF de Corso insistera sur « la force du séisme qui a ébranlé la région de Boumerdès en 2003 ». « Une cassure de plusieurs kilomètres a été observée à djebel Assouaf, à Dellys, suite à ce tremblement de terre. Comment s'étonner que des immeubles s'écroulent lorsque des montagnes se fissurent ? », se demande-t-il. Maître Bourayou trouve que « ce procès devait se tenir vu la charge pédagogique qu'il renferme ». « D'habitude, je suis très avare en éloges en direction des pouvoirs publics, mais cette fois-ci je salue jusqu'à ceux qui ont actionné l'affaire en justice, car ce procès, historique, va certainement contribuer à façonner une vision plus responsable de l'acte de bâtir », a dit l'avocat. Mais « attention, ce sera un échec pour nous tous si nous nous limitons à établir les responsabilités que nous sommes en train de rechercher à un seul niveau. Il faut aller plus haut et toucher à tous les niveaux. Il y a des responsabilités même au niveau des hautes sphères de l'Etat », avertit-il. LES CONCLUSIONS DES SCIENTIFIQUES EN DEBAT S'agissant des « conclusions et des avis des scientifiques que tout un chacun tente d'exploiter à sa manière, pour sa cause », maître Bourayou déclare qu'« il n'y a pas de connaissance absolue » et qu'« on ne peut pas se baser sur ces dires pour inculper telle ou telle autre personne ». Ce n'est d'ailleurs pas le but recherché par des scientifiques de renom comme Benazoug, Yelès, Chelghoum, entendus, à titre de témoins, par le magistrat instructeur et par Benabdallah à l'audience. Abordant les conclusions des commissions d'enquête diligentées par le ministère de l'Habitat au lendemain de la catastrophe et sur lesquelles se base l'acte d'accusation, maître Bourayou s'attaquera à leur composante même. « Leurs membres sont tous des cadres du ministère. Pas un seul scientifique parmi ceux entendus par la justice dans ces commissions. C'est là qu'a commencé la déviation. Le ministre a en outre ‘'influencé leurs membres en les chargeant de rechercher la cause des dégâts (…) de telle manière à ce qu'on puisse déposer une plainte''. Le message était clair : allez sur le terrain à la recherche d'éléments devant nous permettre d'engager des poursuites, semblait dire le ministre à ses cadres. » Les commissions « ne se sont en outre prononcées ni sur la constructibilité des sols où il y a eu des dégâts, ni sur le respect des normes parasismiques comme il leur a été demandé », estime maître Bourayou qui trouve qu'elles n'ont pas parlé de responsabilité de l'administration. Ce pourquoi il saluera « le courage du premier juge d'instruction qui avait prononcé un non-lieu, à deux reprises, dans cette affaire ». « Le mauvais choix du terrain est la cause de ce qui s'est produit dans plusieurs sites dont celui des 60 Logements de la SNTF de Corso. Mais qui devrait dire si un terrain est constructible ou non ? », demande l'avocat avant de répondre lui-même : « C'est le laboratoire national de l'habitat et de la construction. » « Pourquoi a-t-on laissé les gens croire qu'ils pouvaient construire avec les mêmes normes sur les sols sédimentaires de Corso que sur d'autres assiettes plus solides ? », s'interroge-t-il encore. Le défenseur des accusés du projet de la SNTF dira : « Les analyses des échantillons n'ont touché que les édifices publics », reprenant les déclarations du représentant du laboratoire. « Sur quelle base se prononce-t-on alors sur les autres cas ? », se demande l'avocat. Il ajoutera que la responsabilité de l'administration est totalement engagée du fait que c'est elle qui établit les plans d'aménagement urbain (PDAU et POS). Lorsqu'il aborde le règlement parasismique, l'avocat jette un pavé dans la mare : « Le RPA de 1988 obéit à des considérations économiques, au détriment de la sécurité des vies humaines. Nous lisons dans le document du ministère ceci : ‘‘Cette évaluation (…) a permis de prendre en charge un certain nombre de considérations d'ordre économique'' », a-t-il lancé. Pourtant, une étude faite par des scientifiques américains en 1999 préconisait déjà au gouvernement algérien de revoir à la hausse l'accélération des séismes dans toutes les wilayas entourant Alger. Laquelle accélération était de 0.15 dans le RPA de 1988 et de trois fois plus forte, soit 0.45, lors du séisme de mai 2003. Revenant au projet de la SNTF, maître Bourayou dit ne pas comprendre pourquoi s'est-on intéressé aux sites détruits dans la région épicentrale en ignorant des régions plus loin. « Pourquoi n'a-t-on pas engagé des poursuites pour les pertes considérables enregistrées à Dergana, pourtant située plus loin de l'épicentre du séisme que Corso et où, par conséquent, les dégâts devaient être moins importants ? Parce qu'on refuse de monter dans la chaîne de responsabilité », dit-il. « Pourquoi n'a-t-on pas porté à la connaissance du maître de l'ouvrage les études géologiques réalisées dans la région de Corso qui font ressortir que cette région est faite d'un sol sédimentaire de constitution récente ? », ajoute-t-il. Et de conclure : « Si les spécialistes ne se sont pas prononcés, nous sommes en droit de considérer que ce sol est constructible. Et les normes de construction dans ce projet ont été respectées du début jusqu'à la fin. » « Et le chef d'inculpation de fraude s'applique par conséquent à ceux qui sont chargés de dire si les terrains sont constructibles », insiste-t-il. « Dans ce projet, il n'y a rien de contraire à la réglementation : les procès-verbaux d'analyses du béton et du fer sont satisfaisants, la convention passée entre le CTC et l'entrepreneur, qui a réalisé d'autres projets irréprochables ailleurs, est conforme à la réglementation et la réception effectuée sans la présence du CTC n'enfreint aucune loi », a-t-il déclaré. Sur le plan juridique, il discutera, comme l'a fait Miloud Brahimi la veille, le chef d'inculpation d'« homicide involontaire et blessures involontaires ». Il s'est écoulé beaucoup de temps entre le geste initial (la construction) et l'effet (blessures et décès). « On ne poursuit pas quelqu'un pour avoir blessé quelqu'un en 1993 et qui décède en 2003 pour le chef d'accusation d'‘‘homicide involontaire'' », avait dit avant-hier maître Brahimi. Dans le même ordre d'idées, maître Bourayou ajoutera que le lien de causalité entre ces deux actes est rompu par le séisme. Ce n'est pas l'acte de bâtir qui a blessé ou tué, mais plutôt un facteur extérieur, le séisme, a-t-il expliqué. Comme tous les autres avocats qui ont défilé devant le juge, il demande la relaxe de ses mandants.