A l'issue du 2e round de négociations avec l'employeur, qui s'est tenu jeudi dernier, le syndicat de l'entreprise ArcelorMittal Annaba a une nouvelle fois démontré son intransigeance. Même si une proposition d'augmentation de salaires de l'ordre de 24% a été avancée par la direction générale, il semble qu'elle n'ait pas convaincu les représentants des travailleurs à aller de l'avant. Ils ont quitté la table pour exprimer leur rejet de ladite proposition et confirmer leur volonté d'aller à la grève générale illimitée dès hier samedi. C'est ce qu'ils ont annoncé à leur base au moyen de la résolution N°2 portant les jalons les différentes étapes jusqu'au 31 mai, à respecter pour la mise à l'arrêt des installations stratégiques de production et des services annexes ainsi que le service minimum. Au vu de la virulence de l'attaque lancée mardi dernier par les syndicalistes contre leur employeur, il était devenu pratiquement impossible de s'attendre à un quelconque compromis jeudi dernier. Les accusations exprimées par le syndicat et le comité de participation de l'entreprise étaient d'une extrême gravité. Implicitement, Smaïl Kouadria, le secrétaire général du syndicat, et Boudjemaa Bouraï, président du Comité de participation, accusaient leur employeur de complot contre la sidérurgie algérienne. Rien, pourtant, ne laissait présager pareille tournure des événements. Particulièrement lorsqu'on sait que la production de l'acier au complexe sidérurgique El Hadjar a pris une courbe ascendante ce mois de mai. Il y avait aussi une apparente entente dans les relations de travail entre la direction générale et le syndicat dans la gestion des affaires économiques et sociales de l'entreprise. Pour preuve, le succès de la mise en route du plan d'investissement 2011/2015 de 500 millions d'euros qui, plus est, sera soutenu par les banques algériennes. Ces bonnes dispositions avaient été précédées il y a quelques mois par une augmentation des salaires et des indemnités de 18% , ainsi que l'engagement de l'employeur d'étudier la possibilité d'une autre augmentation fin décembre 2010. Puis il y eut le premier clash avec la proposition de la DG du 12 mai dernier que les travailleurs ont qualifiée d'humiliante. Il s'agissait d'une augmentation de 24% des salaires applicable sur 3 années à raison de 8%/an dont 4% conditionnés par l'atteinte des objectifs. Cela a suffi pour faire sortir de leurs gonds les 200 représentants des travailleurs des sections de toutes les unités du pays avec au bout la décision votée à l'unanimité de déclencher une grève générale illimitée dès le 28 mai. Depuis, détermination et radicalisation de leur démarche ont été les deux mamelles des syndicalistes. C'est ce qui les a certainement amené à lancer le « nous accusons ! » sur un document de 5 pages. Ils donnaient ainsi libre cours à leur colère en dénonçant pêle-mêle une gestion technique, financière et sociale très aléatoire de la société en général et du complexe sidérurgique El Hadjar en particulier. Analysé, le contenu du document en question se veut être l'exact reflet des conditions à l'origine de ce qui semble être un complot économique ourdi contre la sidérurgie algérienne à partir du Luxembourg. Cette thèse est rejetée par Vincent le Gouïc. « La théorie du complot est hallucinante. Pourquoi ArcelorMittal irait-elle se mettre volontairement dans une situation qui ferait perdre sa valeur à sa filiale à Annaba? » répondra t-il à La Nouvelle République. Ce n'est pas l'avis des syndicalistes qui affirment détenir des preuves de ce qu'ils avancent. Le secrétaire général du syndicat a même affirmé en avoir d'autres qu'il rendra publiques le premier jour de la grève. C'est dire que les prochaines heures vont être déterminantes pour l'avenir de la Direction générale ArcelorMittal Annaba. Elles le seront quand on sait que la question des revendications salariales des travailleurs serait passée au second plan et que le syndicat de l'entreprise est visiblement passé du rôle de partenaire social à celui économique. Un transfert qui, à la lecture des accusations contenues dans le document du 24 mai, pourrait être synonyme de cauchemar pour Vincent le Gouïc. Les services compétents de l'Etat algérien devraient s'y intéresser. Tout en donnant l'image d'une société ArcelorMittal à vau-l'eau, le document en question cible le management et les cadres expatriés. Ce faisant, Smaïl Kouadria, le signataire, a déclenché une véritable bombe. Vieux routier du syndicalisme et spécialiste des dossiers à fort relent de soufre, il n'en est pas à sa première sortie du genre. N'est-il pas l'auteur des révélations de plusieurs affaires scabreuses de gestion économique et sociale de la société. Entre autres, les dossiers des œuvres sociales, des déchets ferreux, des importations et exportations douteuses… Reste que cette nouvelle affaire est un peu plus compliquée. En effet, dans ses révélations, Kouadria signale d'importants préjudices financiers non seulement pour la partie algérienne, partie prenante dans ce partenariat, mais aussi pour le groupe ArcelorMittal. « Pour confirmer tous nos dires, vous pourrez à tout moment faire venir de véritables experts s'entretenir avec nos expatriés pour découvrir leur véritable niveau de compétence », lance-t-il dans un appel au groupe ArcelorMittal pour une enquête approfondie. Reste que ses révélations signifient aussi une profonde cassure des relations employeur/syndicat. En tenant des propos fracassants lors de la conférence de presse qu'il a animée, Kouadria a enfoncé le clou. Tout indique dans sa diatribe qu'après l'heure des fissures est intervenue celle des craquements. En fait, le secrétaire général du syndicat et le président du comité de participation ont mis en examen leur employeur. Dès hier 28 mai, début de la grève, l'escarmouche pourrait virer à la bataille rangée. Le « ArcelorMittal veut le beure et l'argent du beurre », titre de leur diatribe en 5 pages, en est une prémice. Il fait état d'actes douteux de gestion. Même s'il n'a pas utilisé blanchiment, transfert illicite de fonds et sabotage des installations de production, les termes du document sont d'une extrême gravité. Ils ont été confirmés par le même Kouadria lorsqu'il a expliqué : « Que Vincent le Gouïc vienne en Algérie pour apprendre le métier de directeur général, c'est une chose, le propulser à la tête de la filiale de Annaba, ce n'est pas lui rendre service et encore moins participer au développement de la production sidérurgique nationale ». Ce que n'a pas apprécié le directeur général ArcelorMittal Annaba. Déjà fragilisé par les nombreux coups de boutoir assénés par les syndicalistes depuis sa prise de fonction à la tête de la direction générale ArcelorMittal Annaba, Vincent le Gouïc a estimé que cette attaque des syndicalistes est inexplicable car basée sur des accusations sans fondement, la désinformation et le mensonge. Le représentant en Algérie du groupe leader mondial de l'acier est allé plus loin. Il a souligné sa perplexité quant au contenu du courrier que lui ont adressé les syndicalistes en affirmant : « Il y a un degré de cohérence dans la démarche depuis des mois et sur ce qui est dit des desseins des uns et des autres ». Est-ce à dire que la démarche dont il est question a été interprétée par Vincent le Gouïc comme étant une tentative de mettre un terme au partenariat au tort des Franco-Indiens ? Même si pour certains cette issue semble impossible au regard des dispositions contractuelles du partenariat de 2001 et de l'implication politique du gouvernement algérien, tout concorde vers cet objectif. Qu'en pense Vincent le Gouïc qui a bien voulu se confier à la Nouvelle République ?