Les scènes de déchirement, devenues le seul mode d'expression dans la maison FLN depuis quelques mois, finiront par discréditer les deux camps qui s'entre-déchirent et finiront, par voie de conséquence, par altérer l'image du parti majoritaire qui a la prétention d'offrir au premier magistrat du pays une base populaire solide et pérenne et accompagner le train de réformes qui est engagé. En ce sens que, pour une large partie de l'électorat algérien, un prétendant au poste de premier magistrat du pays, qui se lance dans la course sous le label de candidat du pouvoir ou du «système» - qu'une nouvelle pensée tente de réduire au seul ancien parti unique - ne doit nullement paraître vulnérable, ni s'adonner publiquement à un travail fractionnel au sein du système qu'il prétend représenter. Et ce qui inquiète, aujourd'hui, c'est qu'aucun débat serein ne semble possible au sein du FLN, et que rien ne laisse entrevoir un dénouement «heureux» au bras de fer dans lequel se sont engagés, un peu malgré eux, des militants tiraillés entre deux choix qui leur semble inconciliables. Alors que le silence des «anciens», supposés imbus de sagesse et en mesure de s'interposer pour mettre fin au cycle de violence qui ronge les structures du parti, ne fait que rendre la lisibilité plus opaque. A un moment, le camp «loyaliste», représenté par le bureau politique et incarné par l'inamovible Abdelaziz Belkhadem, avait donné l'impression d'avoir lâché du lest, en acceptant de dialoguer avec les «redresseurs», représentés par l'ancien ministre Salah Goudjil. Mais la logique de l'affrontement a vite repris le dessus, à cause de l'obstination des uns et des autres, et surtout en l'absence de force d'arbitrage au sein du vieux parti. Cela dit, la tenue d'une réunion extraordinaire du comité central samedi et dimanche prochains peut être l'occasion pour esquisser un compromis. Même s'il est difficile, pour l'instant, d'imaginer un Belkhadem consentir à son départ pour désamorcer la crise, qui, eux-mêmes en sont conscients, risque de coûter cher au parti aux prochaines élections. La direction actuelle a pour devoir d'éviter, en toute urgence, que le spectre du sectarisme ne pèse pas trop lourd sur la vie du parti. Car, dans le fond, il y a un réel besoin de rééquilibrage régional. Puis, il y a, au-delà de l'aspect organique, le besoin de recentrer le FLN sur sa véritable ligne idéologique. Car la démarche qu'a toujours adoptée l'actuel secrétaire général a plutôt tendance à renvoyer un islamo-nationalisme qui ne reflète pas la vision de tous les militants. C'est pourquoi les protagonistes sont condamnés à un consensus nécessaire pour sortir de l'affrontement actuel. FLN, une histoire de barbouze C'est Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement réformateur, qui a dit un jour que le FLN est comme condamné à rester un parti qui pose toujours problème : à la société, lorsqu'il est au pouvoir, à ce même pouvoir lorsqu'il choisit de s'en retirer. Le constat se vérifie à chaque fois qu'un changement de cap est envisagé, à chaque grand tournant de la vie politique nationale. Depuis la proclamation du multipartisme en 1989, l'ex-parti unique a traversé des périodes difficiles et connu des ruptures douloureuses. D'aucuns prédisaient sa disparition, mais il a toujours su s'adapter aux nouvelles donnes et pu survivre grâce à ses relais influents dans les rouages de l'Etat et au crédit dont il continuait à jouir au sein de l'armée. Lorsqu'en 1995, Abdelhamid Mehri, alors secrétaire général du parti, signe au nom du FLN le contrat de Rome aux côtés du FIS et du FFS, les hommes de l'ombre ont vite réagi et monté un plan pour le destituer. Un complot dit scientifique (par opposition peut-être aux méthodes barbares et maffieuses qui seront employées plus tard contre Benflis), exécuté par un groupe de caciques de l'ancien Comité central, finira par restituer au parti son rôle de suppôt du pouvoir, à l'époque où ce dernier en avait tellement besoin pour parer au danger islamiste. C'est Boualem Benhamouda, un homme qu'on dit proche des militaires, mais sans envergure nationale ni ambition politique affichée, qui sera «élu» à la tête du parti dans la perspective des élections législative et locale de 1997, puis de la présidentielle de 1999. Arrive Benflis à la tête du parti, en même temps qu'à la tête du gouvernement, rien ne présageait de nouvelles fissures au sein du parti, désormais majoritaire à l'APN, tant la symbiose paraissait parfaite entre le discours réformateur du nouveau FLN «rajeuni et modernisé» avec celui des institutions de l'Etat. Or, l'homme cachait bien des ambitions, dont, la plus grave aux yeux de ses détracteurs, celle de défendre une «hypothétique» autonomie du parti au détriment de celles du président. Le recours à la force est la preuve, selon les observateurs, que les conspirateurs ont épuisé tous les moyens politiques pour faire valoir leur option. Ces derniers savent que la caution du FLN est si vitale pour la réélection du président ; ils connaissent mieux que les autres le poids des mouhafadhas dans le jeu politique dans les villes intérieures. D'où cette guerre de barbouzes, notamment dans les villes de l'Est, à l'occasion de l'installation de chaque structure de base.