Mouloud Achour est connu depuis les années 1970 pour ses récits passionnants. Le genre nouvelles lui sied bien, il y est toujours, mais avec un style plus affiné et adapté à tous les types de public. On lit agréablement Mouloud Achour pour ses histoires à la fois réalistes et fantastiques. Son écriture relève d'un parfait connaisseur, maître de la langue et soucieux de répondre à l'attente d'un lectorat avide de lectures enrichissantes par le contenu et le contenant. Ses nouvelles, dont la première occupe le tiers du volume pour son contenu, ont paru pour la première fois en 1996, d'après les informations recueillies. Elles ont fait l'objet d'un travail de remise en forme dans le cadre d'une réédition en 2011. Cela arrive à tous les écrivains de renommée qui remettent en question leurs œuvres pour les améliorer, du point de vue de la langue surtout. «Si mon père revenait» C'est la première nouvelle qui s'étale sur 67 pages. Mouloud Achour aurait dû en faire, avec quelques pages supplémentaires, un roman, vu sa trame, l'envergure des personnages, les thèmes développés. Nous y trouvons un ensemble, à l'image d'un vécu collectif des plus réalistes. L'évolution des personnages dans leurs relations les uns avec les autres comme dans la vie ne peut que motiver les lecteurs qui ne regretteront pas d'avoir eu dans une langue bien soignée des récits enrichissants. «Si mon père revenait», formulation d'une condition pour intituler une nouvelle copieusement élaborée, s'applique à Bachir qui occupe le devant de la scène. Son père plane au-dessus de lui, de son univers, comme un démiurge qui le hante à chaque instant, tant l'éducation qu'il lui a donné est dure et les principes sur lesquels elle se fonde sont stricts. Bachir va en être marqué à vie ; le titre et la tendance à vouloir le tenir pour témoin d'où l'on consomme du vin, de la bière, à côté de ceux qui se contentent de prendre un thé à la menthe dans ces moments de défoulement. On ne sait si dans ces lieux décrits avec soin on peut parler de beuveries, sinon d'orgies au son d'une flûte saharienne. Si Mounir, à le voir se démener du mieux qu'il a pu, semble vouloir célébrer quelque chose. Il a lancé des invitations sans oublier Bachir qui y vient avec plaisir. C'est un lieu de défoulement où il a l'occasion de se mesurer avec ses semblables sur Che Guevara, Neruda, l'Espérant, Marx. Aux côtés d'une centaine de femmes venues danser, des hommes de toutes catégories sont invités aussi à prendre part aux soirées musicales. Une mosaïque d'individus représentatifs de la diversité sociale est réunie là pour procurer du plaisir avec au milieu Bachir, qui découvrira fortuitement un polyglotte. Le retour au silence, titre d'une nouvelle et générique du recueil Mehdi, un poète talentueux et reconnu, est devenu le point de convergence d'un univers où les gens ne sont pas accommodants. Des amis lui recommandent avec beaucoup d'insistance d'aller dans une salle de conférence déclamer ses vers, se faire connaître, mesurer la température d'un public récepteur. Il fallait qu'il tente l'expérience pour que des perspectives s'ouvrent devant lui en vue d'une carrière de poète. Quelle serait sa réaction devant une salle nombreuse ou une salle vide ? Beaucoup de scénarios envisagés ont été mis à exécution. Finalement, ce n'est pas si sorcier. Il suffit de ne pas avoir peur du public, ne pas bafouiller par timidité, savoir où l'on va, faire l'effort de bien articuler pour obtenir une écoute attentive. «Il a, par exemple, omis de préciser que le poète est d'abord un homme. Ni un prophète, ni un démiurge, encore moins un homme politique ou un justicier», dit l'auteur. Mais que peut-on dire à propos d'un récital de poésies en ce temps, on dit à propos d'un récital de poésies en ce temps de misère culturelle, où même les livres ne se vendent pas, mis à part les manuels scolaires ? «Je sais faire chanter le cristal» est le 3e titre choisi pour sa valeur métaphorique qui nous met face à une ambiguïté sémantique. En guise d'introduction, l'auteur consacre un paragraphe poétiquement élaboré pour parler d'un espace vide, où règne le silence. A moins d'une erreur d'interprétation, on est comme dans un labyrinthe qui fait passer d'un état à son contraire : «Il y a ce tunnel et l'immense foyer éclairant, ombre lumineuse qui fait de tout lumière.» En fait, ce paragraphe introducteur prévient le lecteur sur un décor aux horizons obscurs, dont les acteurs imprévisibles passent d'un état à l'autre, par exemple de vie à trépas. Et au moment où l'espoir semble revenir, on bascule dans le pire : «A l'éclaircie, d'autres horizons avaient surgi. Un nouveau paysage, effrayant par sa nouveauté même. Un travail de décryptage à faire pour atteindre le fond du texte qui faisant la description de l'Algérie durant les années noires qui ne veulent pas se terminer, puisque nous y sommes toujours. Le regard de Rachid comme le dernier, chacun à sa façon, reflète l'actualité nationale ou mondiale. Chaque titre en dit long sur le contenu. Au soleil couchant symbolise le son d'une vie. Et nous relevons sur le bas de la première page, et maintenant, la suprême inertie qui précède l'envol de l'âme, une grisaille qui raconte le déclin d'une vie. Dix nouvelles d'une beauté extraordinaire que chacun doit faire l'effort du découvrir moyennant une concentration. Mais pourquoi 10, chiffre pair ? lorsqu'on n'y comprend rien, il faut relire et relire autant de fois que cela est nécessaire. Et le sens finit par venir de lui-même. Comme dans la vie, les nouvelles retracent des tranches de vie des personnages inspirés au réel. Il est vain que le style qui obéit aux impératifs de l'écriture fictive, rend méconnaissables les acteurs, auteurs de faits et évènements, mais tous les récits se déroulent sur fond obscur d'un décor qui n'est rien d'autre que le nôtre. Mouloud Achour, Le Retour au silence, recueil de nouvelles, Editions Casbah, 207 pages, 2011.