Des milliers d'hectares de terre en jachère ou illicitement exploités, des biens mobiliers et immobiliers spoliés, des unités de production agroalimentaires laissées à l'abandon, des milliards de dinars détournés et un millier d'agriculteurs coopérateurs dans le besoin d'une assistance sociale... Telle est, depuis des années, la situation de la Coopérative agricole régionale de services et des cultures industrielles (CARSCI) Annaba. Cette entité agricole a été héritée de la période coloniale durant laquelle ont été acquises des actions au capital social des plus vieilles sociétés françaises. Aujourd'hui, Carsci est au plus mal. Jusqu'à la fin des années 1980, ses productions de céréales, tomate industrielle, tabac, coton, olive, son parc roulant, son patrimoine qui s'étendait sur les wilayas de Annaba et d'El-Tarf et son chiffre d'affaires annuel ne laissaient pas indifférents les responsables des plus hautes institutions de la république dont le ministère de l'Agriculture et du Développement rural. Carsci était l'un des plus importants facteurs nationaux créateurs de richesses et d'emplois. Elle aurait pu le rester si des rapaces ne s'y étaient pas introduits dès 1990 pour la piller. Alertés, les walis et directeurs de services agricoles qui s'étaient succédé à Annaba avaient tenté de mettre un terme au pillage. L'ambiguïté de la nature juridique de la Carsci avait été mise à profit par des individus pour bloquer toute intervention de l'Etat dont les Domaines avec pour objectif de se remplir les poches tout en vidant la coopérative de sa substance. Il y a bien eu une décision de récupération de la Tabaccop par les domaines de Annaba sur décision du wali. Mais, certitude de l'impunité aidant, cette décision a été foulée au pied. La situation est restée en l'état avec l'occupation par des commerçants privés des locaux commerciaux, hangars, dépôts, terrains, logements et villas, propriétés de la coopérative. L'enquête diligentée par la Gendarmerie nationale dès 2000 avait été suivie par l'interpellation et la mise sous mandat de dépôt de certains gestionnaires ou prétendus tels. Ils bénéficieront tous de la liberté provisoire. Ils attendent, depuis, leur comparution à la barre des accusés. Déjà en souffrance depuis plus d'une décennie, l'affaire devrait connaître des rebondissements dans les prochains jours. Les nouveaux membres élus de la Chambre d'agriculture que préside Salim Bouaricha, installé par Mohamed Ghazi, wali de Annaba, ce dernier jeudi, devraient s'atteler à dépoussiérer le dossier pour se positionner en partie civile. «Cette affaire a trop duré. Cette coopérative a fait l'objet d'une mise à sac systématique de son patrimoine par de prétendus gestionnaires. Ils rendront compte devant la justice des vols qu'ils ont commis durant des années. Nous veillerons à ce qu'il en soit ainsi», a indiqué Mohamed Ghazi, à l'issue de la cérémonie officielle d'installation. Il était temps car du richissime patrimoine de cette coopérative, il ne reste presque plus rien. Son patrimoine, dont le foncier agricole se chiffrant à des dizaines de milliards de dinars, a été pratiquement dilapidé. Derrière des appellations du genre «comité de gestion, comité de surveillance, directoire…», des gestionnaires autoproclamés s'y sont succédé. Par divers stratagèmes et la complaisance, voire la complicité de certains hommes de loi, ils ont effectué des transactions de vente et de location de biens mobiliers et immobiliers. Comme ils ont décidé de la dissolution ou de la liquidation d'unités de production agricole et de transformation agroalimentaire à Annaba et dans différentes communes d'El-Tarf. Liquidé aussi, un engin de curage des oueds qui, unique en son genre en Algérie, fait aujourd'hui les beaux jours de son nouveau propriétaire. Il l'a acquis à un prix symbolique auprès d'un des membres du «comité de surveillance» pour le louer aux communes. «Les loyers et autres contreparties financières de cession ou location des biens de la coopérative ont fini dans les poches d'individus sans foi ni loi. Ceux-là mêmes qui, ces derniers jours, tentent d'inciter les agriculteurs à semer le désordre sur la voie publique», a précisé le directeur de l'exécutif de la wilaya de Annaba. Il faut dire qu'avant sa mise à sac, Carsci était passée, comme par magie, du statut de patrimoine public à celui d'une propriété privée. Depuis, elle a été gérée par un conseil de gestion et de surveillance dont les membres sont sensés être élus par plus de 1 200 agriculteurs adhérents d'El-Tarf et Annaba. Ce qui n'a jamais été le cas. Les initiateurs du détournement du siècle en Algérie avaient réussi à se faire établir de vrais faux documents pour faire main basse sur ce bien public que représente cette entité agricole. Elle était riche d'importantes surfaces agricoles, d'unités de transformation agroalimentaire (tomate industrielle, coton, tabac, olive), de fermes pour l'élevage, d'un important cheptel dont des vaches laitières importées des Etats-Unis dans le cadre de la coopération technique (ferme de Zerizer), de châteaux, maisons de maître, cliniques, centres de soins, de vacances et de loisirs. Le comble est que déclarée dissoute, l'unité de conserverie de Bouteldja (Tarf) a été rénovée pour, au même titre que des surfaces agricoles dans la même wilaya, être louée à 2 Turcs. La seule qualité de ces derniers résidait dans leur aptitude à payer cash ceux qui leur ont offert la matière première, des moyens de production et de conditionnement de la conserverie de Bouteldja. La seule encore en état de fonctionnement sur le 3 unités de transformation de la tomate industrielle de la sous-coopérative Essaada. Que ce soit à Annaba ou à El-Tarf, le pillage du patrimoine de la Carsci s'était poursuivi dans l'indifférence générale. Y compris celle du ministère de l'Agriculture de l'époque pourtant alerté par les walis et les responsables des DSA dans les deux wilayas. C'est pourquoi, presque un demi-siècle après l'indépendance, une misère poignante s'est étalée dans le milieu agricole dépendant de la Carsci. Tout aussi poignante était la situation des travailleurs et autres animateurs de services qui vivaient au contact de la production agricole et de la transformation agroalimentaire.