Comme son nom l'indique, il s'agit de gaz emprisonné dans du schiste, une roche sédimentaire déposée à l'origine sous forme d'argile et de limon. D'apparence semblable à celle de l'ardoise, le schiste est la roche sédimentaire la plus répandue sur la planète et il est moins perméable que le béton. J'ai fait une formation en économie pétrolière, formation que j'ai poursuivie pendant quatre années au Canada et j'ai été cadre supérieur à la Sonatrach de 1990 à 1999. Mais comme beaucoup d'autres cadres algériens, j'ai été poussé à quitter cette chère baraque Algérie que nous ont laissée nos parents, merci La Fontaine, parce que, tout comme eux, je dérangeais. Je vis alors depuis douze longues années au Canada. Oui, dans ce grand pays d'Amérique du Nord qui fait de son mieux pour me réchauffer, me sécuriser, m'employer et me payer, me respecter, me permettre de voter, en somme me considérer canadien à part entière et me donner un passeport pour voyager sans visa quand je veux et où je veux. Bien que très loin du terrain Algérie, aujourd'hui il y a Twitter, Facebook, les blogues... qui nous rapprochent de chez nous et qui nous permettent de voir ce qui se fait partout, de nuit comme de jour. Cela dit, à la lumière de cette modeste expérience théorico-pratique ou encore par pitié nostalgique, vous me permettrez probablement, de placer quelques mots auxquels j'ai droit, car étant absent depuis longtemps. Surtout que, encore une fois, c'est dans l'intérêt de mon pays. Semblable motif d'ailleurs, il fût un temps, à mon éviction des prises de décision. A force de blablas ces derniers mois, à l'idée à ouvrir ou non le dossier de gaz de schiste en Algérie, j'aimerai d'emblée dire, haut et fort, à tous ces intellectuels de chez nous, ceux-là qui proposent le gaz de schiste comme alternative au pétrole et au gaz conventionnel : vous vous gourez et vous faites fausse route, à moins de vouloir réorienter le pays, déjà bien malade, pour le remettre sur la bonne et dernière voie de sa perte. Le ministre de l'Energie et des Mines n'est pas allé avec le dos de la cuillère, puisque lui aussi a vivement encouragé l'option du gaz de schiste. Il a déclaré, entre autres, lors de la conférence organisée par CERA (Houston, USA) en mars 2011, que les réserves de l'Algérie dans cette énergie dépasseraient de loin celles de certains champs américains et qu'il est temps pour notre pays de lancer toutes les opérations en amont pour la recherche et l'exploitation de cet or bleu. Je me suis alors amusé à décoder ses déclarations et à les rapprocher de celles qu'il avait déjà faites lors du 21e congrès sur l'énergie tenu à Montréal. J'ai compris qu'il veut tout de suite mettre la machine en marche. O.K., il y a du gaz. Alors plantons rapidement une foreuse et siphonnons tout ce qu'on peut. Les Algériens ont suffisamment semé, durant des décennies entières, les graines de pétrole et de gaz et d'abondantes récoltes ont été amassées. Les caisses en devises sont pleines, nous dit-on chaque année. Paradoxalement, la misère a atteint son paroxysme. Alors que la population n'a pas du tout profité de ses riches récoltes à chaque année, on veut encore aujourd'hui la forcer de mettre, non pas la main à la patte, mais l'épaule à la roue, pour labourer de nouveaux champs rocailleux et schisteux afin de dénicher et libérer cet or bleu ô combien précieux et vital'. C'est un vrai chaos dans l'ordre ! De grands pays industrialisés, possédant une grande expérience dans l'industrie pétrolière et gazière et disposant de l'outil approprié (fracturation hydraulique, forage horizontal…), éprouvent toutes sortes de difficultés à mettre les machines dans la direction du gaz de schiste. Certains ont choisi de limiter ou même de stopper les investissements inhérents à cette préoccupation combien même leurs réserves, en cette énergie, sont démontrées et consistantes. Les Etats-Unis, dont le premier puits de gaz de schiste a été foré en 1821 à Fredonia (New York), ont peiné pendant plus d'un siècle pour situer la quote-part de production de cette énergie à 1 % de toute leur production de gaz et à 1,6 % en 1996, pour la porter, après de grands efforts, à juste 6 % actuellement. Le Canada, dont le potentiel de gaz de schiste s'élève au moins à 30 1012 mètres cubes, ne pourra récupérer, selon ses estimations, tout au long des quinze prochaines années, que 20 % de ce gaz à condition que ses techniques de forage et de fracturation soient améliorées. Bien que ce grand pays continue d'évaluer son potentiel de production dans ce gaz, dont les principales réserves sont emprisonnées dans les roches du bassin de Horn River et les schistes de Montney (Colombie-Britannique), en Alberta, en Saskatchewan et dans les schistes d'Utica au Québec, toutes les études de faisabilité effectués jusque-là indiquent que les opérations seront dures et coûteuses. Les difficultés techniques et la durée plus longue du forage horizontal ou de la fracturation expliquent le coût élevé du procédé. Un puits de gaz de schiste horizontal coûte entre 8 à 12 millions de dollars. Alors qu'on ne récupère que 15 à 20 % de ce gaz, comparativement à 90 % du gaz récupéré des gisements de gaz classique. L'écart est significatif. Il faut noter en outre que l'industrie des gaz de schiste, depuis le forage jusqu'à l'exploitation, ne se fait pas sans grands risques : - elle fait augmenter les émissions de gaz à effet de serre ; - elle diminue les réserves d'eau de source et contamine les nappes phréatiques ; - elle empiète sur les habitats naturels fauniques ; - elle augmente le nombre de tremblements de terre. Rappelons-nous le séisme de 5,6 degrés sur l'échelle de Richter qui a secoué l'Oklahoma, aux Etats-Unis, un Etat dans lequel l'activité d'extraction de gaz de schiste s'est fortement développée. Pour nombre de spécialistes, ce tremblement de terre finit de démontrer le risque sismique que font peser les techniques de fracturation hydraulique sur les territoires exploités. Oui, on peut deviner que notre sous-sol renfermerait de grandes quantités de gaz de schiste. On est aussi d'accord que nos universités doivent enseigner les techniques d'extraction des gaz non conventionnels. C'est vrai qu'à travers le monde, la piste du gaz de schiste suscite de plus en plus d'intérêt. Mais ce qui est sûr et vrai aussi c'est que l'Algérie dispose de réserves en pétrole et gaz conventionnel prouvées qu'elle pourra exploiter sans aucune contrainte, et ce, jusqu'en 2030. Ces réserves récupérables lui permettront de subvenir largement à tous ses besoins au cours des vingt prochaines années, en tenant compte de l'évolution de sa population et de sa demande moderne. C'est un plan de charge, à lui seul, très ambitieux qui a besoin de grands moyens technologiques, de l'attention, du sérieux et de la volonté de tout un chacun pour sa concrétisation. Je ne vois pas en quoi la donne gaz de schiste bouleverserait le marché pétrolier et/ou gazier dans les quinze ou même vingt prochaines années. Ceux qui tentent de nous faire avaler cette couleuvre sont des spéculateurs et des trouble-fêtes. Ils cherchent justement à travers cette surenchère à créer une certaine psychose afin d'accéder à des prix plus avantageux, aussi bien du pétrole que du gaz, et aussi et surtout d'accroître leur champ d'investissements au cœur même de ces pays qui démontrent un certain empressement en la matière, dont l'Algérie, en affichant leur intérêt pour l'acquisition de positions dans la recherche et l'exploitation du gaz de schiste. L'Algérie gagnerait à fermer pour une bonne quinzaine d'années ce «dossier» gaz de schiste et à se concentrer davantage dans le développement et l'exploitation de ses énergies classiques. Ses réserves pétrolières économiquement récupérables sont estimées à plus de 12 milliards de barils. Elle est le troisième exportateur mondial de gaz naturel avec des réserves prouvées de près de 4,5 billions de mètres cubes. Elle doit donc préserver cette réalité, la valoriser et faire avec. Les issues gagnantes sont nombreuses. L'Algérie, au fil des années, a forgé un vrai savoir-faire dans l'industrie du pétrole et du gaz. Elle doit vendre, quand et là où le prix est le mieux, et ne s'engager qu'avec des contrats à court terme. Elle doit notamment s'efforcer de jouer ses cartes maîtresses pour faire la différence avec ses concurrents d'aujourd'hui, le Qatar et la Russie, et d'augmenter sa quote-part dans la distribution du gaz en Europe. Mais, de grâce, que cette richesse pétrolière et gazière cesse de devenir synonyme de taux de pauvreté élevé. Et là aussi, il revient aux citoyens d'être vigilants en exigeant plus de transparence et à ne pas rester coi et farouche ou encore comme de mauvais gobeurs. C'est de cette manière que notre pays pourra avoir une visibilité pour mieux négocier le virage de l'après-pétrole. L'industrie pétrolière et gazière n'est pas une mince affaire et on n'est jamais à l'abri d'une grande et grave surprise. Et dans le cas de notre pays c'est cette seule industrie qui conditionne son avenir. Comme dit l'adage : «Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras».