Les causes qui ont mis sens dessus dessous l'échelle de nos valeurs initiale résident principalement, à mon sens, dans notre esprit tendancieux qui ne reconnaît point à l'objectivité et à l'équité leur rang et leur importance. En second lieu, l'intérêt général et les valeurs morales, jadis parties intégrantes de notre éducation, ne sont plus légion, ne paient plus et surtout ne font plus vivre. La déontologie, qui régit, pourtant, l'intellectualisme dont nous vantons et l'appartenance et l'adhésion, est courtisée puis soudoyée par le gain facile et la gloire éphémère qui motive nos faits et gestes d'aujourd'hui. Quand la destinée bascule une vie J'avais décidé, ce vendredi-là, de fuir l'insipide prêche de la mosquée du quartier où j'habitais et habite toujours, en quête d'autre chose que des leçons et prêches à propos des questions de divergences, au moment où nous avions âprement besoin de dénominateurs communs pour réduire nos divisions. Ma destination, ce jour-là, m'était guidée et dictée. J'ai finalement atterri, sans l'avoir choisi, sur l'esplanade de la mosquée d'El-Biar. Je ne connaissais pas encore le bonhomme et j'ignorais tout de son personnage. Dans mon esprit, c'était un très vieil homme avec une canne. Peut-être est-ce parce qu'il avait commencé très tôt la daâwa. Après la prière du vendredi, qu'il avait officiée, je suis sorti transformé ! Son prêche a laissé beaucoup d'impacts sur moi ! Il avait, ce jour-là, parlé des religieux qui ont brandi le sabre de l'apostasie contre tous ceux qui ont eu … la malédiction d'installer la satanique parabole ! Ces malheureux étaient traités de tous les noms : Satan, Démon et de… Lucifer etc,. Cheikh Mahfoud, avec son sourire légendaire qui ne l'a même pas quitté sur son lit de mort, avait demandé à toutes les âmes charitables et à tous ceux que la parabole, le magnétoscope ou la télévision gênaient et embarrassaient, de bien vouloir remettre ces accessoires maudits à son association (El Irchad wal islah) qui en avait grand besoin. La subtile allusion visait plus le camp des opposants farouches à l'évolution que celui des paisibles croyants anodins dont je faisais partie. L'après-prêche lui a valu un tollé et beaucoup d'insultes de la part de ceux qui, quelques années après, ont adopté et la parabole et bien d'autres choses encore inimaginables. J'avais toujours de la sympathie pour cet homme qui a cette particularité de présenter les choses différemment et qui avait horreur du classique et monotone : «ma yatloubouhou el mous tamioun» ou, si vous voulez, cette manie qu'on a de se conformer à l'ordre établi de peur de susciter le courroux des conservateurs endurcis. Il avait en horreur aussi tous ceux qui ne font pas travailler leurs cerveaux et qui avalent toutes les couleuvres indigestes qui leur sont servies au nom du sacré. Devant la grande admiration que je vouais au défunt, maintes fois j'étais tenté d'écrire sur ce grand homme que nous avons perdu mais devant les préjugés, qans lesquels nous excellons, nous autres Algériens, et les tendances qui nous interdisaient toute objectivité envers nos antagonistes, j'ai dû reporter ce témoignage à plus tard. Un homme à abattre à tout prix Devant toutes les accusations et ternissures qu'on lui collait, mon opinion, à son sujet, n'a pas bougé d'un iota. J'ai su, dès lors, que pour abattre cet homme il faut recourir aux diffamations et autres mensonges car sur le terrain du franc dialogue, de la clairvoyance politique et de la persuasion, il était difficile, voire impossible, à ses adversaires, de lui damer le pion. En parlant justement de sa clairvoyance, je me rappellerai toujours les propos qu'il a tenus lors de son tout premier meeting à la salle harchaen 1988 : «Je sens l'odeur de la fitna qui se propage à l'horizon». Il fut l'un des fondateurs principaux, si ce n'est le fondateur même, de la rabita de la daâwa islamia. Il savait, avant tout le monde, que le pluralisme politique n'allait pas se faire sans obstacles. En fin politicien qu'il était, il voulait par l'entremise de cette institution éviter l'irréparable à cette mouvance islamique qui faisait ses premiers pas dans la jungle politique où tout faux pas est interdit risque de la mener vers la calamité. Il savait que la mouvance islamique était constituée par une mosaïque de tendances difficiles à gérer et qui ignorait jusqu'à l'abc de la politique. Devant des groupes qui confondaient l'invariable et le variable et qui ne se sont, jusque-là, versées que dans les questions rudimentaires de l'islam, il fallait donc impérativement une institution forte et capable pour gérer tous les différends qui, inévitablement, ne manqueraient pas de surgir. La rabita de la daâwa islamia avait préconisé avant toute décision de création de parti d'en discuter en collégialité et de s'en remettre à ses institutions. Malheureusement, le culte de l'irréflexion et le goût de l'aventurisme et de l'opportunisme avaient pris le dessus sur la raison et la lucidité. Certains apprentis politiciens de la mouvance islamique ont, malicieusement, tablé sur une échappée tonitruante au départ afin de s'assurer une confortable place sur le podium. Ils savaient que les masses leur étaient acquises grâce à un discours populiste très aguichant et irrésistible, à en charmer les foules les plus distraites, qu'ils avaient affectionné. Chose ruminée furtivement puis appliquée ouvertement, et voilà que le premier parti islamiste s'en vient s'emparer de l'écrasante majorité des Algériens. Il faut dire et c'était prévisible qu'en cette période, toute nouvelle, la palme est quasi assurée au premier parti islamiste qui sortirait la tête du tunnel. L'opportunisme mêlé à l'inexpérience totale du parti ainsi créé a fait rater à la mouvance islamiste la plus haute marche du podium qui devait lui revenir de fait, compte tenu de la sociologie du peuple algérien et de son grand amour pour l'islam. De faux calculs et une véritable tragédie Ayant tablé uniquement sur les masses et la majorité absolue, le parti défunt a entamé une précipitation qui allait coûter à l'Algérie des milliers de vies humaines. Des stratèges occultes de tous bords sont aussi pour beaucoup dans le drame qui a endeuillé moult familles algériennes. Des mains obscures allaient tirer les ficelles de derrière les rideaux du théâtre funèbre où se joue la tragédie la plus dramatique de l'histoire contemporaine et dont les auteurs ne sont autres que les spectateurs et victimes à la fois d'une pièce aux rebondissements jamais effleurés par l'imagination humaine. Cheikh Nahnah a tout tenté pour atténuer l'ardeur des dirigeants du parti dissous mais malencontreusement, la passion était plus forte que la sagesse et la raison. Devant la sourde oreille des aventuriers en tout genre, il a préféré se démarquer et créer son parti. Sous sa direction, le parti a réussi à privilégier le dialogue et la réconciliation nationale qui étaient tabous mais devenus, par la grâce divine, le leitmotiv de tous, y compris de ses plus farouches opposants d'hier. Conclusion Enfin, je ne pense pas avoir rendu l'hommage qu'il mérite au cheikh mais je compte, incha Allah, revenir une autre fois sur le sujet avec plus de détails et surtout avec moins d'émotion. Que ton âme repose en paix, Cheikh Nahanah et que Dieu te récompense pour tout ce que tu as donné à l'Algérie en particulier et au monde musulman et arabe en général. Je souhaite aussi, pour conclure, nous accaparer, ne serait-ce qu'en quelques lignes, un espace qui nous permettrait de réhabiliter d'autres personnalités et, pas des moindres, que nous avons bafouées et que, par ignorance ou par partialité, nous avons calomniées. C'est un précédent que nous créerons afin de donner une meilleure image à la démocratie, à la liberté d'expression et qui permettrait, enfin, de redonner à l'objectivité ses lettres de noblesse. (Suite et fin)