La décantation de la situation s'est accélérée hier avec la visite de travail effectuée hier, mercredi par Wurth Michel, le n° 2 du groupe ArcelorMittal, leader mondial de l'acier. Une visite que rien n'est venu perturber. Même les représentants de la presse n'ont pas été admis à accéder dans l'enceinte du complexe sidérurgique El-Hadjar pour accomplir leur mission de s'informer auprès des syndicalistes et des travailleurs. L'interdiction d'accès aux journalistes a été émise par la direction de la communication ArcelorMittal El Hadjar. «Nous nous excusons de ne pas pouvoir vous permettre de nous rejoindre au niveau du siège du Comité de participation. Le directeur de la communication est derrière cette interdiction imposée, selon lui par la sécurité de la délégation luxembourgeoise au complexe», a affirmé Boudjemaa Bourai, président du Comité de participation des travailleurs. Ainsi, pour le responsable de la communication, les journalistes représentent un risque pour ses patrons venus du Luxembourg. Cette disposition ouvre la voie à un grand nombre de supputations quant au devenir du partenariat ArcelorMittal-Gouvernement algérien. C'est pourquoi, bon nombre de cadres en poste dans différentes unités de production estime que la présence du n°2 du groupe luxembourgeois dans l'enceinte du complexe et son déplacement sur Alger pour une prise de contact avec les hauts responsables algériens est synonyme de mise au point générale. «Il serait même question de discuter d'une éventuelle rétrocession au gouvernement algérien des actifs du capital social de la société mixte ArcelorMittal El-Hadjar. En fait, la mise en route du plan d'investissement que l'on a annoncée, n'est rien d'autre qu'un trompe l'œil imposé pour maintenir la démarche dans la confidentialité. Affirmer que le déplacement d'un personnage aussi influent que le n°2 du groupe est nécessité par des discussions sur le bilan trimestriel 2012 ou pour le lancement des investissements est un argument difficile à faire admettre», ont affirmé plusieurs de ces cadres. C'est dire que les supputations vont bon train autour de cette visite. Des supputations auxquelles le refus de communiquer de la direction en charge de cet aspect donnent plus de consistance.D'autant qu'habituellement la même source répond toujours à toute demande d'explications sur un problème ou un autre en termes de production, de situation socioprofessionnelle des travailleurs ou de devenir de la société. Consistance renforcée par la mise à l'écart de certains cadres dirigeants et la haute confidentialité qui entoure la réunion du staff directorial du groupe ArcelorMittal au complexe sidérurgique. Elle a tout de même permis de détourner les regards sur l'obligation faite par les enquêteurs à Aïssa Menadi d'éviter d'approcher le complexe à un kilomètre à la ronde. Cette interdiction n'est pas passée inaperçue. Mardi dernier, l'intéressé et douze des personnes qui l'avaient accompagné pour occuper les alentours de la direction générale et du conseil syndical ont été entendus sur procès-verbal par les gendarmes durant des heures. Même si pour l'heure, l'enquête est limitée aux faits d'occupation et d'attroupement dans l'enceinte du complexe sidérurgique, les prochains jours seront très difficiles pour l'ex-député, exclu des rangs de l'UGTA depuis 2009 selon son compagnon d'armes d'hier et antagoniste d'aujourd'hui, Smaïn Kouadria. Sur le canevas de travail des enquêteurs, les 44 milliards de centimes versés au titre de sponsoring en deux saisons sportives sur le compte de l'USM Annaba par la direction générale ArcelorMittal à l'époque sous la responsabilité de Vincent Le Gouïc. «A ce jour et malgré les multiples correspondances et mises en demeure, la direction ArcelorMittal n'a toujours pas réceptionné les documents justificatifs des dépenses engagées par le club sportif géré par Menadi. Les réserves de fonds émises par le commissaire aux comptes sur cette somme sont toujours d'actualité. Menadi devra répondre rapidement pour permettre à ArcelorMittal d'apurer ses comptes», révèle une source proche de cette même direction. Ce dossier est à ajouter aux longues listes d'anomalies de gestion dans l'une ou l'autre des structures. Le plus volumineux reste tout de même celui des œuvres sociales où en un seul mois, le Comité de participation en charge de la gestion de ces œuvres, a facturé pas moins de 26 000 travailleurs ayant bénéficié de cure dans les différentes stations thermales. Et quand on sait que mensuellement 1,5% de la masse salariale de 40 milliards de centimes/mois est versé sur le compte du Comité de participation de l'époque, il y a lieu de dire que les investigations risquent d'être longues en termes de temps et d'espace. Entre temps, Smaïn Kouadria qui s'est déchargé de sa mission de secrétaire général du syndicat de l'entreprise ArcelorMittal pour s'occuper de celle dévolue au député qu'il est, a cédé sa place à Daïffalah, un autre syndicaliste au long cours. Aussitôt installé au poste de SG du syndicat en attendant les élections syndicales de septembre prochain, il a été appelé à participer à la réunion que préside Wurth Michel. Cette réunion concernera l'avenir d'ArcelorMittal au sein du groupe, premier producteur d'acier au monde. Wurth Michel n'est-il pas l'homme qui n'hésite pas à mettre en application les plans sociaux synonymes de disparition de milliers de poste de travail ? N'est-il pas derrière le licenciement de plus d'un millier de salariés sidérurgistes français d'ArcelorMittal Florange ? En tous les cas, l'interdiction faite aux représentants de la presse d'accéder au complexe pour accomplir leur mission d'informer objectivement, n'est pas pour mettre un terme aux supputations et autres extrapolations. Et lorsque le directeur de la communication ne se donne même pas la peine de répondre même pour un «rien à déclarer», cela revient à dire qu'à la société ArcelorMittal l'on cultive le mépris du droit à l'information. Affrontements au complexe sidérurgique Bien que pris dans la tourmente judiciaire que lui ont valu une multitude de plaintes déposées par la direction générale, le syndicat et les travailleurs de l'entreprise mixte ArcelorMittal El-Hadjar, Aïssa Menadi l'ex-secrétaire général du syndicat en disgrâce auprès de la centrale syndicale UGTA, poursuit ses actions. Si pour cette direction générale, les syndicalistes et la majorité des salariés, ces actions sont déstabilisatrices des activités de la société, pour Menadi, elles devraient l'amener à réintégrer le poste de secrétaire général du syndicat de l'entreprise d'où il avait été déchu au lendemain des élections syndicales de septembre 2007. Ces actions perdurent depuis une quinzaine de jours. La situation s'est sérieusement compliquée ces dernières 48 heures. Ce jeudi passé, malgré son audition par les gendarmes et celle de douze autres individus qui l'avaient accompagné dans ses actes de perturbation, Menadi a récidivé. Il se serait permis de fouler aux pieds l'interdiction d'accéder au complexe qui lui a été signifiée par le procureur de la République. Si sa nouvelle incursion au complexe sidérurgique via le portail, côté El- Hadjar a été dénoncée par les syndicalistes, la présence de ses partisans aux abords de la direction générale et du bâtiment PPL, lieu de rassemblement des travailleurs, est confirmée par de nombreux témoins. Et pour cause, ce rassemblement et la marche pacifique qui s'en sont suivis en ce lieu ont failli tourner au drame. Les salariés présents au rassemblement et à la marche organisée par le syndicat pour protester contre les agissements de Menadi et ses partisans, ont été victimes de jets de projectiles. Selon nos sources, après avoir enjambé la barrière de sécurité, une quarantaine d'énergumènes ont accédé à l'intérieur du complexe munis d'armes blanches et de gourdins. Ils se sont aussitôt dirigés sur le bureau de Frédéric Bayle, cadre dirigeant expatrié, chargé des ressources humaines, pour le menacer. Selon des agents de sécurité présents, ces individus auraient même tenté de l'agresser. Ce qui a nécessité l'intervention des éléments de la Gendarmerie nationale pour son évacuation. Les mêmes individus toujours aussi déterminés que les précédents jours, se sont rendus par la suite sur le lieu du rassemblement des travailleurs. La sagesse de ces derniers et l'appel à la dispersion lancé par leurs représentants syndicaux ont permis d'éviter le pire. De l'affrontement enregistré en l'espace de quelques minutes, un des marcheurs aurait été atteint par un des projectiles lancés par les partisans de Menadi. L'apparition d'un renfort de gendarmes, une demi-heure après les premières escarmouches, le survol du complexe sidérurgique par un hélicoptère du même corps et l'appel à la retenue des syndicalistes organisateurs du rassemblement ont imposé le retour au calme. Difficile tout de même de prétendre que les quarante individus aient pu accéder au complexe sans des complicités intérieures. D'autant que la direction générale se drape dans une superbe ignorance des faits malgré les risques que cette situation représente pour les installations de production. «C'est un conflit syndico-syndical», a argumenté un des cadres proches de cette structure au début du conflit. Cet argument ne tient pas la route. Aucun démenti de la centrale syndicale UGTA, de l'union de wilaya UGTA ou de Menadi lui-même n'est venu remettre en cause la déclaration de Kouadria, le SG du syndicat ArcelorMittal, élu par la suite député. Il avait publiquement affirmé que Menadi est exclu de l'UGTA depuis 2009. Derrière les récentes déclarations exprimant une satisfaction pondérée à l'évolution de la production au complexe sidérurgique El-Hadjar et d'avoir «participé» au retour des cadres dirigeants expatriés à leur poste respectif de la direction générale, Smaïn Kouadria, le désormais ancien secrétaire général du syndicat ArcelorMittal dissimule avec peine une certaine déception. Lui qui se coiffera durant tout un quinquennal de la casquette d'élu à l'APN, se voyait déjà cité à la barre des témoins à charge contre Aïssa Menadi. Pendant ce temps, ce dernier ne s'écarte pas d'un millimètre de sa position initiale. Il parait même jouir de complicités intérieures qui lui ont permis de s'introduire dans l'enceinte du complexe et de tenter de rassembler des travailleurs pour soutenir sa démarche. Il semble qu'il ait échoué. Ce qui ne l'aurait pas empêché d'accéder une nouvelle fois dans le complexe. Selon le secrétaire général du syndicat, Menadi aurait appelé ses sympathisants à mettre le feu à l'usine. Tout autant que lui, douze d'entre eux sont pénalement poursuivis. Cette nouvelle intrusion serait-elle derrière la décision du procureur de la République près le tribunal correctionnel d'El-Hadjar de lancer contre lui un mandat d'amener ? A cette question, Smaïn Kouadria qui, depuis l'installation de l'APN s'est officiellement déchargé de sa mission de secrétaire général du syndicat ArcelorMittal en désignant intérimaire Mourad Daïffalah, a affirmé : «Ma qualité de député m'interdit de cumuler deux fonctions électives. Ce qui ne m'empêche pas en tant que citoyen, sidérurgiste et de député de m'intéresser à ce qui se passe au complexe sidérurgique. J'ai effectivement appris que Menadi fait, depuis jeudi soir, l'objet d'un mandat d'amener. Il était temps. Je dois dire que cette situation a trop duré et qu'il est grand temps que chacun assume sérieusement ses responsabilités avant que ne survienne le pire. Il a été évité de justesse lors du rassemblement du jeudi matin». Derrière cette déclaration exprimant de réelles appréhensions quant au devenir de la société, le député Smaïn Kouadria lance un appel médiatique destiné à avoir une résonnance politique. D'autant que dans ses multiples contacts avec les gens de la presse, cet ancien cadre syndical élu député pour, entre autres, légiférer, révèle volontiers la chronologie de ce qu'il qualifie de «dossier Menadi».