La France et le Canada avalés par la folie guerrière des Etats-Unis et d'Israël ? À la toute fin du mois de novembre, la détérioration rapide et alarmante de la situation politique en Europe et au Moyen-Orient m'avait amené à soulever la possibilité, du déclenchement d'une troisième Guerre mondiale. J'avais en effet été sidéré de découvrir, sur un site américain d'information financière, l'extrait d'un bulletin de nouvelles chinois où un responsable militaire de haut niveau avertissait les Etats-Unis, le Canada et la France, que son pays n'hésiterait pas à protéger l'Iran contre toute agression, même au risque d'une troisième Guerre mondiale. Cet article avait attiré l'attention d'un journaliste algérien qui communiqua avec moi quelques semaines plus tard pour savoir si je serais disposé à expliciter ma position dans une entrevue qui serait publiée dans son journal en début d'année. Sans me douter le moindrement du traitement qui serait réservé à cette entrevue (manchette en première page), et de la diffusion qu'elle allait connaître , j'acceptai son invitation à répondre à une série de questions qui allaient me permettre d'aborder le cas de la Syrie et de suggérer qu'avec l'alignement des positions russe et chinoise sur la question du Moyen-Orient, nous étions en train d'assister à une réémergence des blocs, comme au temps de la Guerre froide. Les événements de l'hiver allaient me donner raison. Au cours des derniers mois, la Chine et la Russie ont exercé à trois reprises leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies pour contrecarrer la volonté des Etats-Unis de la France et du Royaume-Uni d'intervenir militairement en Syrie pour déloger le gouvernement de Bachir Al-Assad et favoriser un changement de régime. Malgré tous les efforts en sous-main pour déstabiliser Assad, celui-ci demeure encore en poste, un exploit qui serait totalement impossible s'il ne jouissait pas du soutien très large de la population syrienne. Ceux qui en doutent feraient bien de se remémorer l'effondrement du régime communiste en ex-Allemagne de l'Est et la chute du mur de Berlin, en quelques jours, sans aucune effusion de sang et pour des exemples plus locaux, voir le renversement des régimes Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte, relativement pacifiques. Après avoir évincé les «contras» de Homs et de Damas, revenues à la paix civile, le régime Assad tente désormais de les déloger de deux quartiers d'Alep, toute proche des frontières de la Turquie qui les alimente en hommes et en armes. Et le spectacle de ces centaines de milliers d'habitants qui fuient les quartiers sous contrôle des contras pour se réfugier dans les quartiers contrôlés par les forces du régime, Assad confirme éloquemment la légitimité démocratique de son pouvoir. Aucun régime ne peut tenir très longtemps contre la volonté de sa population. Et c'est justement l'absence de cette volonté populaire de changement qui nous amène à nous questionner sur les raisons profondes de pays comme les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et le Canada à souhaiter si ardemment un changement de régime en Syrie après l'avoir souhaité et obtenu en Libye, et l'avoir souhaité sans l'obtenir en Iran (fiasco de la Révolution verte). Pour ce qui est des Etats-Unis, les motivations sont assez claires, même si les intérêts (pas nécessairement les mêmes) et l'influence politique d'Israël viennent un peu brouiller les cartes. Mais c'est quand on se met à s'interroger sur les motivations de pays comme le Royaume-Uni, la France et le Canada que le problème se complexifie. Le cas du Royaume-Uni est assez facile à régler. Ce pays a depuis longtemps fait le choix de l'alliance géostratégique avec les Etats-Unis, mais était malgré tout parvenu à conserver une certaine indépendance dans sa politique étrangère au Moyen-Orient sur la base de sa longue expérience politique dans cette région du monde. Cette situation allait changer dramatiquement après le 11 septembre 2001 et le déclenchement de la guerre contre l'Irak. Le Premier ministre travailliste, Tony Blair, causa une certaine surprise, du moins dans ses propres rangs, en s'alignant sans hésitation et sans faille aux côtés des Etats-Unis de George W. Bush, alors que la France de Chirac et le Canada de Jean Chrétien refusaient de le faire. La France était parvenue à maintenir pendant toutes les années depuis le départ de De Gaulle jusqu'à l'arrivée de Sarkozy au moins, les apparences d'une certaine indépendance vis à vis des Etats-Unis et d'un préjugé favorable aux pays musulmans qui s'expliquait, comme dans le cas des Anglais, par sa longue fréquentation de cette culture. Pays colonial, la France a imposé pendant longtemps sa tutelle sur le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. Ceux qui sont moins familiers avec l'Histoire de France savent moins que la France de Napoléon s'était aventurée jusqu'en Egypte et que, même si cette aventure fut de courte durée, elle était parvenue à y conserver une importante influence culturelle et commerciale, dans ce dernier cas avec la construction par Ferdinand de Lesseps du Canal de Suez à compter de 1858 et son exploitation de 1868 jusqu'en 1957 par La Compagnie universelle du canal maritime de Suez en vertu d'une concession emphytéotique de 99 ans. «À la suite de la nationalisation du canal par Nasser en 1956, quand le patrimoine égyptien de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez a été transféré à la Suez Canal Authority, la société touche d'importantes indemnités car elle dispose d'une concession jusqu'en 1968. Rebaptisée Compagnie financière de Suez en 1958, elle engage sa reconversion en multipliant participations et investissements dans divers secteurs de l'économie.» On notera au passage qu'il s'agit de l'entreprise à l'origine de GDF-Suez dans laquelle le duo Paul Desmarais/Albert Frère détient une participation importante. Il faut aussi rappeler que la France et la Grande-Bretagne s'étaient partagé les dépouilles de l'empire ottoman en 1920, et que la France avait pour sa part hérité de ce qui allait par la suite devenir la Syrie et le Liban. Quant au Royaume-Uni, il récupérait l'Irak, la Transjordanie et la Palestine. Le Liban allait acquérir son indépendance en 1943, la Syrie en 1946, et Israël, découpée dans le territoire de la Palestine par les Nations unies, en 1948. La présence de la France sur l'échiquier politique du Moyen-Orient est donc une donnée de base, d'autant plus que d'importants liens commerciaux ont survécu au mouvement de la décolonisation après la fin de la seconde Guerre mondiale. (A suivre)