Mieux vaut pr�venir que gu�rir devant l�impasse actuelle dans le Proche-Orient ? C�est visiblement le choix qu�a fait l�administration am�ricaine sous Obama. Il ne s�agit pas pour elle d�accompagner les changements politiques en cours dans le nord de l�Afrique mais d�anticiper les �v�nements s�agissant de pays � forte teneur g�ostrat�gique, comme c�est le cas pour l��gypte, de l�Alg�rie, du Y�men et, � un degr� moindre, la Tunisie. Observons pour ce dernier cas la visite de Jeffrey Feltmanhaut, responsable de la diplomatie am�ricaine pour le Proche-Orient, venu rencontrer les dirigeants tunisiens, les chefs des partis politiques ainsi que les membres de la soci�t� civile... en pleine insurrection populaire qui a pouss� � la fuite Zine El Abidine Ben Ali. En tout cas, pour tous ces pays� arabes � l�intention est la m�me : redessiner la carte politique de la r�gion de fa�on � r�affirmer l�influence am�ricaine de plus en plus marqu�e, a contrario ne pas avoir � n�gocier plus tard avec des �quipes dirigeantes qui se seraient impos�es sans sa b�n�diction. Cela est flagrant des anciennes puissances coloniales, la France notamment au Maghreb, qui peinent � rebondir face � l�expansionnisme am�ricain. A ce titre, le cas de la Tunisie est r�v�lateur du d�sarroi de la diplomatie fran�aise. La pol�mique, successive aux d�clarations de Mich�le Alliot-Marie, ministre des Affaires �trang�res, sur la Tunisie et � travers elle le r�le de la France se poursuit, preuve d�un profond malaise. Elle met de plus en plus en exergue l�incapacit� de l�ancienne puissance coloniale � comprendre, sinon s�adapter aux nouvelles r�alit�s maghr�bines quant � la volont� d��mancipation � tous points de vue. Elle ne fournit pas de gages de perception des mouvements sociaux de fond qui, aujourd�hui, transcendent dans leurs revendications les tenants des r�gimes en place ainsi que les partis politiques, ceux-ci �tant �castr�s� dans leur action politique de contre-pouvoir et de force de r�gulation sociale. 2011 inaugure ainsi une �re nouvelle dans les pays arabes, une �re d�insurrections populaires et leur irruption inattendue et soudaine sur la sc�ne publique. Elle prend de court analystes et �tudes prospectives. Une pi�ce o� les principaux protagonistes se livrent une guerre � mort Pour comprendre les turbulences dans cette r�gion du monde, il s�agira de planter les �l�ments du d�cor d�une pi�ce o� les principaux protagonistes (compte tenu des enjeux �conomique et strat�gique) se livrent une guerre d�o� ne sortiront gagnants que les plus forts. Pour eux, il y a l�acc�s aux mati�res premi�res et essentiellement le p�trole. Le Soudan reste toujours en pleine tourmente malgr� sa partition avec l�ind�pendance de sa partie sud, car la question du Darfour p�trolier reste enti�re. La f�roce comp�tition entre la Chine � bient�t premi�re puissance �conomique mondiale � et les pays occidentaux, surtout les Etats- Unis d�Am�rique, est engag�e sur tout le continent africain. Monarques et chefs d�Etat arabes assistent impuissants au d�pe�age d�un pays membre pourtant de la Ligue arabe et de son pr�sident inculp� par le TPI (Tribunal p�nal international). M�me attitude, en d�pit des apparences, vis-�-vis de la question palestinienne : blocus et agression meurtri�re de Ghaza l��t� 2008 et la diabolisation du mouvement Hamas au profit d�Isra�l avec un Netanyahu au fa�te de son arrogance. A cet �gard, les documents ultrasecrets portant sur les n�gociations isra�lo-palestiniennes �balanc�s� � la face du monde � et des Arabes surtout � par la cha�ne Al Jazeera participent du sentiment de ras-le-bol de l�impasse dans laquelle est mis le processus de paix. Une situation sans issue explosive. Explosive aussi l�est la r�gion sah�lo-saharienne Il y plane l�ombre du g�ant am�ricain d�sireux, co�te que co�te, de barrer la route � la Chine, encore une fois, qui d�veloppe dans les pays riverains une politique commerciale tr�s agressive qui lui assure une pr�sence incontestable. Europ�ens et Am�ricains voient d�un tr�s mauvais �il la menace d�un gros consommateur de mati�res premi�res et surtout de p�trole. Sous couvert de droits de l�homme et de lutte anti-terroriste, ils tenteront alors de s�y frayer un passage. Gaz et p�trole constituent, �videmment, des sources consid�rables d�argent frais de plus en plus importantes gr�ce au prix du baril qui a atteint aujourd�hui les 100 dollars, les nouvelles d�couvertes que favorisent les technologies r�centes de prospection. Il est �vident que les puissances industrielles ne perdent pas de vue l�amenuisement des ressources en hydrocarbures sans qu�il y ait d�couverte d��nergies alternatives malgr� les agro-carburants, au demeurant fortement d�cri�s du fait qu�ils affament des pans entiers de population dans le monde. La soudaine richesse des pays p�troliers ne va pas sans poser de s�rieux probl�mes. En effet, le glissement vers le d�tournement de sommes colossales par les oligarchies locales, outre le fait qu�elles cr�ent des situations de non-droit, d�tourne les �quipes dirigeantes des aspirations � un mieux-�tre de leurs populations. Ce sentiment de discrimination, de frustration et d�injustice sera partout pareil dans les pays arabes en butte aux contestations populaires. Partout aussi, le ph�nom�ne de la corruption est d�cri�. Ainsi, la richesse d�une minorit� est devenue synonyme d�appauvrissement d�un pays. Plus grave aussi, la gangr�ne qu�introduit la corruption dans les diff�rents niveaux de l��difice �conomique et institutionnel, rendant inop�rante toute pr�tention au progr�s. Et donc � une paralysie de la soci�t� qui ne dit pas son nom mais dont les cons�quences sont d�sastreuses au plan de l��volution sociale. Voil� un parfait ingr�dient d�explosion sociale. A quoi servent toutes ces richesses lorsque l�on ne peut en profiter. Marasme �conomique, mal-�tre social et surtout absence de toute perspective d�avenir mobilisateur, et donc meilleur, fragilisent au plus au point des soci�t�s dont les besoins �l�mentaires demeurent l�emploi, l�habitat, l�eau, l��lectricit�. Ce n�est plus l�ennemi ext�rieur � conjurer, ce sont les r�gimes en place � abattre. L�humiliante fuite de Ben Ali aura le m�rite de semer une grande frayeur parmi ses pairs arabes qui n�ont pas su anticiper ce vent de r�volte. Sauront-ils en tirer les le�ons ? Ou alors n�est-il pas d�j� trop tard pour eux ? Si chaque pays repr�sente un cas � part, il y a en tout cas toutes ces similitudes que nous venons de citer avec la corruption comme d�nominateur commun et la long�vit� dans l�exercice du pouvoir, lorsque ce n�est pas tout simplement leur l�gitimit�. Ali Abdallah Salah, 69 ans, est au pouvoir (32 ans) depuis 1978 suite � des �lections pr�fabriqu�es apr�s un coup d�Etat militaire. D�sormais, il jure que ni lui ni son fils ne se pr�senteront � l��lection pr�sidentielle de 2013, fin de mandat de 7 ans de l�actuel pr�sident. Engagement pris devant le Parlement r�uni en session extraordinaire. C�est d�ailleurs ce qui pousse vers la sortie Hosni Moubarak (82 ans) au pouvoir depuis 30 ans. El Kaddafi n�est pas mieux loti. A 69 ans, il court sur 42 ans d�un pouvoir sans partage qu�il n�est pas pr�s de l�cher sauf pour le compte de son rejeton Seif El Islam, � l�exemple de la Syrie avec B�char El Assad (46 ans) qui a succ�d� � son p�re en 2000. Ces vieux chefs d�Etat arabes n�ont plus qu�un seul souci, celui de garder le pourvoir au profit de leur propre famille, cr�ant ainsi une sorte de r�publique monarchique o� le pouvoir se transmet par h�ritage ! En Alg�rie, si la candidature aux �lections pr�sidentielles (2014) de Sa�d Bouteflika, fr�re du pr�sident (73 ans) n��tait pas cr�dible, elle ne peut plus avoir cours sachant ces bouleversements. Mais si les Tunisiens ont r�ussi en tr�s peu de temps � chasser Ben Ali en attendant le changement du r�gime, qu�en sera-t-il des autres pays � la lumi�re de cette exp�rience ? L�exemple de l��gypte de Moubarak fait craindre le pire quant aux d�rapages possibles dans la r�pression tous azimuts. Son issue pourrait d�ailleurs grandement d�terminer l�attitude � suivre des autres chefs d�Etat qui ne voient pas du tout d�un �il favorable ces protestations populaires. Il reste que l��gypte ne constitue pas elle-m�me un cas � part en ce sens que pour tout le Moyen-Orient, c�est une pi�ce majeure de puzzle g�ostrat�gique. C�est d�abord 80 millions d�habitants qui ne poss�dent pas les conditions de vie des pays � faible population mais tr�s riches. Sa proximit� avec Isra�l a atrophi� une arm�e qui a men� plusieurs guerres mais sans parvenir � un r�sultat esp�r� par les peuples arabes, c�est-�-dire vaincre cet ennemi de toujours : l�Etat h�breu. Et cela seulement a cr�� un r�flexe de culpabilisation des chefs arabes � qui on fait endosser l��chec des guerres successives. Immobilisme, glacis des deux fronts int�rieur (appauvrissement) et ext�rieur (Isra�l). Par ailleurs, il conviendra de noter que m�me battus par l�ennemi commun, les peuples arabes ne s�avoueront jamais vaincus. Cela va jouer grandement dans la contestation des pouvoirs en place du fait de la mis�re sociale. Un cocktail d�tonant s�il en faut ! Rien ne bouge et cela leur sera fatal. Face � cette faiblesse, Isra�l se pose en b�te noire arrogante exacerbant le sentiment d�humiliation des populations arabes. Mieux, l�administration Obama para�t clairement comme un protecteur docile ob�issant au doigt et � l��il aux Isra�liens men�s par un Netanyahu qui ne se prive plus d�imposer ses quatre volont�s dans la r�gion. Plus aucune pression n�est possible ? Bien au contraire, Obama nourrit les pires inqui�tudes quant aux changements en �gypte. Appels t�l�phoniques � Moubarak et d�clarations de presse. Il r�unit m�me le cabinet de s�curit� nationale. L��gypte est mise en demeure de ne pas sortir du cadre que lui assignent les Am�ricains et Isra�l. C�est vital ! Quitte � heurter les sentiments nationalistes et provoquer la col�re des Fr�res musulmans. Juste apr�s le discours du ra�s du 25 janvier, il dit ouvertement : �Au peuple d��gypte et particuli�rement � la jeunesse je vais �tre clair, nous entendons vos voix.. Obama prie Mieux, le porte-parole de la Maison Blanche affirme : �Obama a fait une pri�re pour le peuple �gyptien.� A se demander si c�est dans une mosqu�e ou � l��glise ! Il reste que tout cela fait ressortir davantage les graves enjeux et les craintes que nourrit Isra�l quant aux accords de Camp David et les diff�rents accords bilat�raux sign�s depuis sous l��re Moubarak. Exemple : l��gypte vend pour 1,4 milliard de m3 de gaz par an, sur une p�riode de 20 ans. Le montant global de la transaction s��l�verait � 5 milliards de dollars. 40% de consommation de gaz de l�Etat h�breu sont fournis par l'�gypte. Rappelons que le pays du Nil se place au troisi�me rang en Afrique en production de gaz avec des r�serves de 2060 milliards de m3, soit 16 ans de production. Sur le plan �nerg�tique �galement, l��gypte est d�abord un n�ud strat�gique pour les �changes p�troliers. Il abrite, en effet, deux routes p�troli�res capitales, le canal de Suez et l'ol�oduc Suez-M�diterran�e (Sumed). Plus d�un million de barils de brut transitent chaque jour de la mer Rouge � la M�diterran�e via le canal. L�ol�oduc Sumed convoie aussi un million de barils de brut par jour. Troisi�me source en devises de l'�gypte, le canal de Suez, c�est environ 30% du volume du trafic maritime mondial, 7 millions de dollars par jour. Dans ces conditions, un statu quo ne serait-il pas plus profitable pour tous (r�gime Moubarak, Isra�l, Etats-Unis, Europe). Pour Isra�l, quel meilleur gage que le r�gime du ra�s �gyptien. Au plus fort de la contestation populaire, c�est Omar Souleymane, patron des services secrets �gyptiens, qui se voit charger de la mission de sauver les meubles. Une personnalit� appr�ci�e des Isra�liens. Au contraire, il appara�t comme un homme du pass� source d�immobilisme qui pr�f�re jouer la carte des nouvelles g�n�rations : �Je crois fermement que vous allez d�terminer votre destin�e et saisir la promesse d�un avenir meilleur pour vos enfants et petits-enfants �(Obama). Les nouvelles g�n�rations contre l�immobilisme ? Plus clairement, la Maison Blanche veut tourner la page des anciennes g�n�rations de chefs d�Etat arabes. Est-ce aussi pour contourner le blocage du processus de paix dans lequel l�a confin�e Netanyahu par une sorte de pressions indirectes ? Ou bien encourager de nouvelles �quipes dirigeantes arabes sorties de nouvelles g�n�rations plus facilement mall�ables car n�ayant pas l�exp�rience de la guerre de leurs a�n�s ? Quoi qu�il en soit, il s�agit de garder la haute main sur les affaires du lointain Proche-Orient. A ce propos, il serait int�ressant de rappeler une r�alit� pas tr�s ancienne. L�Am�rique latine a, pendant longtemps, �t� la chasse gard�e des diff�rentes administrations am�ricaines, l�eldorado des multinationales. La r�volution sandiniste, qui a mis � bas la dictature Somoza, a pris de court les strat�ges am�ricains de la CIA. Ce mouvement d��mancipation de la tutelle am�ricaine enclench�, avec Cuba, poursuit sa marche depuis. Le camp progressiste va ainsi s��largir notamment avec le bruyant et courageux Hugo Chavez du Venezuela d�s 1998, suivi peu apr�s du Bolivien Hevo Morales, de l�ex-tupamaros Pepe Mujica ou du Br�silien Luis Ignacio Lula da Silva. Et alors que les pays arabes dans leur totalit� se complaisent dans leur faiblesse face � un Etat qui viole tous les accords de paix, les pays sud-am�ricains, malgr� l�opposition d�Isra�l, reconnaissent l�un apr�s l�autre l�Etat palestinien au moment o� les r�v�lations de WikiLeaks montrent un Mahmoud Abbas, chef de l�Autorit� palestinienne, comme une marionnette aux mains des Isra�liens, au grand dam des populations arabes. On l�aura vu, les Etats- Unis et leur alli� isra�lien suivent heure par heure les manifestations populaires en �gypte. De leurs r�sultats d�pendra tout l�avenir de cette r�gion. Aucune avanc�e notable depuis la guerre de 1973, c�est l�impasse porteuse de germes d�une explosion que nous vivons aujourd�hui m�me.