Tout porte à croire que le football en Tunisie traverse une méchante fièvre. Tout s'enchaîne, se bouscule, s'efface et se reconstruit pour se briser juste le temps de souffler. Le football perd de sa vitesse et l'affiche bien. Il ne mérite pas ce traitement. Il a survécu a différentes zones de turbulences, notamment après janvier 2011. Obligatoirement, le football est touché par ces vents violents qui soufflent sur l'économie laquelle du reste est très fragile. A cette carte froissée, il y a les jeunes qui vacillent, qui passent d'un pan à un autre, quelques touristes tentent de faire croire à une reprise mais ne résistent pas aux agitations provoquées. Le football, c'est comme cette balle tirée de loin, lobe le gardien et inscrit le but. Il y a des témoignages qui illustrent la vie de ce sport en Tunisie et qui nous invite aux bons souvenirs. Comme celui de l'entraîneur français Patrick Liewig, qui fut à la tête du Stade tunisien. Il déclare, «dans beaucoup de clubs, les joueurs par faute de salaire faisaient grève. Et comme ils n'avaient plus de quoi se payer de l'essence, ce n'était pas toujours évident pour eux de venir aux entraînements...» Aujourd'hui, ce climat est encore vivant. Des difficultés financières collent toujours à la peau des clubs. «Il faut savoir que jusqu'à la chute de Ben Ali, les caisses des clubs ne résonnaient pas comme aujourd'hui... Il y avait la mise en scène de l'ancienne équipe de Ben Ali qui faisait croire que l'Etat de ce temps là, aidait les clubs. Ce n'était que du cinéma puisqu'il faisait plutôt obligation aux entreprises de financer les clubs, voire aller au secours de ces derniers qui sentaient un gros nuage arriver au-dessus de leur tête», rappelle Mehdi Miled, président de la section football du Club africain. «Le système était assez bien rodé, ajoute Elyes Ghariani, vice-président de l'Espérance sportive de Tunis et chargé du marketing et du sponsoring. Le gouverneur de la région passait un petit coup de fil à la plus grande société du coin et demandait que celle-ci, déjà sponsor de tel ou tel autre club, accorde une petite rallonge financière. On ne leur laissait pas vraiment le choix, surtout pour les formations les plus modestes.» Ainsi le Jeune Afrique rapporte que selon Mahdi Miled, «le budget, c'est 10% de ressources stables et 90% d'aléatoires. Je me souviens qu'en 2009, quand nous avons été champions de Tunisie, nous avions touché 150 000 euros de droits télé sur un budget total de 4,5 millions d'euros. La part la plus importante provenait des recettes aux guichets, des abonnements - environ 2 millions d'euros - et du sponsoring. Aujourd'hui, poursuit-il, le ministère des Sports, c'est-à-dire l'Etat, ne peut pas donner grand-chose, et les sponsors, qui ne sont plus encouragés à mettre de l'argent dans le football, sont beaucoup plus réticents à s'engager, d'autant qu'ils subissent aussi les effets de la crise. Nous touchons environ 50 000 euros de Promosport, la Société de paris sportif. On mise aussi sur l'argent que nous pouvons récupérer lors des transferts, mais c'est aléatoire». Le mal est profond, il est mis au fourneau avec cette obligation «faite aux clubs de jouer à huis clos pour des raisons de sécurité (seuls ceux qui sont engagés dans les compétitions continentales peuvent accueillir des spectateurs), l'argent généré par les ventes de billets n'entre plus». La révolution, s'est faite dictée ses raisons, des raisons qui mettent à plat, malheureusement pour ce sport populaire. «Il a fallu récompenser les comités directeurs», explique Jalel Ben Tekaya, conseiller auprès de Tarak Dhiab, l'ancien Ballon d'or africain, aujourd'hui ministre de la Jeunesse et des Sports. «Actuellement, il y a quatre clubs qui s'en sortent bien : l'Espérance (dont le propriétaire, Hamdi Meddeb, est un riche homme d'affaires, ndlr), le Club africain (dont le président, Slim Riahi, lui aussi homme d'affaires, est également le fondateur du parti de l'Union patriotique libre), le Club sportif sfaxien et l'Etoile sportive du Sahel. Mais je pense que les sponsors vont revenir. Aujourd'hui, à cause de la crise et de l'absence de public, ils hésitent à investir.» Son optimisme, mis en évidence dans des déclarations semées à des occasions précises font qu'ils espèrent même que les chaînes de télévisions, à l'image de la chaîne qatarie Al-Jazeera, dont il était consultant, obtiennent des droits de retransmission du championnat. Et avec l'argent du Golfe, il sauverait les clubs sportifs, lesquels doivent se partager actuellement 2 millions d'euros. «On négocie sur la base de 5,5 millions d'euros par an sur trois saisons», précise Dhiab. Sans aucun doute, «l'hypothèse d'une substantielle revalorisation des droits télé séduirait forcément les clubs, plus particulièrement les plus désargentés. Ce qui éviterait à ce que le fossé se creuse davantage, entre les quatre, les plus riches et les autres», souligne Ridha Frafra, trésorier du Stade tunisien. Mais voilà qu'il manifeste un signe de pessimisme, il dira, «je n'ai pas l'impression que beaucoup d'hommes d'affaires envisagent de mettre leur argent dans le football. Alors, le Stade tunisien, un club formateur, peut en récupérer sur les transferts de joueurs qu'il a formés. Comme Youssef Msakni, cédé par l'Espérance au club qatari de Lekhwiya pour 11,5 millions d'euros. Cette opération va nous permettre de récupérer 900 000 euros d'indemnités de formation. C'est essentiel pour notre survie. Pourtant, le salaire le plus élevé chez nous n'est que de 1 500 euros... La vente de joueurs est une source de rentrées importante». Toutes les équipes n'ont pas la même fiche comptable comme l'Espérance, dont son budget tourne autour de 7,5 millions d'euros, parvient à assurer son train de vie. Les salaires, qui s'échelonnent entre 1 000 et 10 000 euros (primes comprises), arrivent en temps et en heure sur les comptes bancaires des joueurs, et, depuis l'ouverture récente d'une boutique où les produits dérivés semblent particulièrement bien se vendre, les dirigeants misent sur le merchandising pour arrondir les fins de mois. «Sfax, le Club africain et l'Etoile l'ont fait avant nous. Nous pensons pouvoir récolter 300 000 euros par an», estime Elyes Ghariani. Il annonce que «L'Espérance, dont les revenus ont été augmentés par les sommes perçues après sa victoire en Ligue des champions africaine l'année dernière (1,1 million d'euros) et sa participation à la Coupe du monde des clubs (2,2 millions d'euros), s'est lancée dans le projet Perspectives 2019. L'objectif, poursuit Ghariani, est d'organiser le club en société anonyme afin de favoriser l'arrivée de capitaux. La professionnalisation de notre gestion passe par là». A suivre