D'un genre qui s'inscrit dans la perspective de l'engagement, cette poésie de type classique est tout de même originale par la forme et le fond qui restitue fidèlement le vécu collectif portant les marques d'un passé très éprouvant et d'un présent incertain. Les textes versifiés habilement, rimés et rythmés ressuscitent la poésie d'antan que les lecteurs ont perdu l'habitude de lire, les hommes et femmes de plume ayant opté depuis belle lurette pour les vers libres. Ce qui explique une absence de lectorat pour ce genre littéraire caractérisé à l'origine par l'esthétique du langage et le poids sémantique. Comme dans les autres arts, l'originalité est de rigueur. La poésie de Rachid Rezagui a cet avantage de s'appuyer sur des illustrations polychromes et à fortes connotations, réalisées par des peintres de talent. Cela ne pourrait qu'être bénéfique pour la poésie et la peinture à notre jeunesse à qui s'adresse en grande partie cette nouvelle production, n'ayant pas été initiés au décryptage des messages à partir des supports picturaux et linguistiques pour considérer à leur juste valeur les œuvres d'art, bien qu'ils aient de grandes capacités dans ces domaines d'expression. Nous en avons eu des preuves indiscutables par le passé, on peut même parler de vocations gâchées tant il y a eu des jeunes qui n'ont jamais rencontré de conditions favorables pour s'exercer à l'art de composer en vers et en couleurs alors qu'ils ont toujours eu des prédispositions naturelles. Une poésie, reflet d'une actualité brûlante Nous n'avons pas jugé utile de suivre la chronologie indiquée au bas des pages, les poèmes ayant été des compositions de circonstance pour faire passer en premier «Le printemps, cinquante» pour la saison indicatrice de renouveau ou de renaissance à la vie. Il n'y en pas eu mais nous souhaitons que cela soit le prélude à une étape dans le processus historique qui tourne définitivement la page des malheurs, particulièrement ceux des décennies noire. Espérons que l'Algérie sera celle de tous ceux qui ont soif de bonheur, de sécurité, de liberté épanouissante. Le printemps du cinquantenaire de l'Indépendance est un indicateur de parfums bénéfiques et revigorants pour tous. L'illustration qui accompagne le texte est porteur de signes révélateurs d'un changement en bien, bien que le vert n'occupe pas la totalité de l'espace de la page, cette couleur qui symbolise la renaissance à la vie, repose sur des socles en gris signifiant le manque de clarté, dans un quotidien dominé par la monotonie de la vie, la tristesse. Nous sommes alors dans un cinquantenaire sans éclat. La dernière strophe en forme de quatrain, impeccablement rimé, est un indicateur d'espoir. Jugez en par le contenu : «Quel bilan faire à la gare cinquante/ Le pouvoir de l'agent s'implante/ L'école s'enlise dans les variantes/ Mais, nous savons que l'espoir s'invente». L'ensemble des poèmes sont du point de vue syntaxique, conçus de la même façon, des quatrains au nombre variable d'un texte à l'autre. Sur le plan thématique, ils constituent un ensemble complémentaire d'un travail de chroniqueur qui suit au jour le jour l'actualité algérienne. Dans «Faits et faits», l'image et le texte sont en parfaite complémentarité, l'un explique l'autre dans une relation interactionnelle. Les vers et le déco sont à l'image du contexte socio-économique. Les horizons se sont obscurcis, on est d'après l'illustration comme enfermés dans un monde sans fenêtre vers le reste de l'univers. Les neuf strophes bien illustrées par les couleurs et les formes du peintre, le disent chacune à sa façon dans un vocabulaire spécifique entrant dans un même champ lexical, celui de l'enfermement et de l'incertitude dans le présent et le futur : plantent le danger, méfaits, lâcheté de se taire, l'histoire revient pour juger. Et voici ce qui est dit à la 6e strophe du même poème : «La couture n'agira plus pour raccommoder l'erreur, chacun pour soi et sans plus, quand la menace crée la peur». Des texte en quatrains pour dire tout haut ce que la majorité pense tout bas Référons-nous au texte «lire» pour trouver l'essentiel concernant l'avenir. On y relève ces vérités universellement admises, à méditer sérieusement : «Les peuples qui enterrent la plume, cultivent le drame pour l'avenir. L'école, la plume et le livre produisent lumière et déclic !» Dans le respect d'une progression thématique logique, on veut faire suivre par «espoir» qui a tendance à disparaître du vocabulaire de la quotidienneté. L'illustration le dit bien d'ailleurs par les formes et les couleurs : un tableau noir encombré de dessins en lignes brisées puis en cercles barrés avec ça et là des semblants de fleurs esseulées. Le tableau du peintre est surchargé comme pour indiquer un contexte social où chacun a du mal à s'orienter. Mais tout tourne autour de la même thématique : le savoir, l'espoir, l'histoire. C'est pourquoi nous abordons le poème «Votez l'école !», au titre évocateur d'avenir et d'espoir ou de désespoir. «Je ne voterai que pour l'école qui d'ailleurs fonde des nations, tout le reste n'est qu'un sol pour maintenir des positions». veut-il parler là de «l'école sinistrée» trouvée par Boudiaf à son retour précipité en Algérie, ou rappeler la citation d'un penseur qui dit que : «un pays ne vaut que ce que vaut son école». «Le recueil de poèmes», jailli spontanément d'un imaginaire nourri au quotidien de drames, d'émotions, de désespoirs persistants, est tout de même un plus à l'écriture de notre histoire. A lire avec délectation d'autant plus qu'il y a un accompagnement iconique dont la polychromie et la diversité des formes mérite un bon décryptage qui nous replonge dans les détails de la réalité algérienne, de l'indépendance à nos jours. Rachid Rezagui, Jaillissement des mots (poésie) illustrations Karim Sergoua, Ed Barkat, 2012, 67 pages