Au cours des dernières semaines, le spectre communautaire est, plus que jamais, apparu en situation d'enflammer l'arène médiatique et le débat politique. Par un glissement sémantique en appelant plus au registre de l'émotion bien plus qu'à celui de l'analyse, l'emploi du terme de communauté renvoie en effet aux dangers du communautarisme, dont le stigmate agit comme opérateur radical d'illégitimation (1). A l'inverse, les usages valorisants de la notion de communauté se retrouvent étrangement placés sur un autre plan : c'est le cas de la terminologie administrative, friande de communauté de communes, de communauté éducative ou encore de communauté internationale, mais aussi de la désignation de l'ensemble des composantes instituées du champ social, les communautés d'anciens élèves, les syndicats professionnels, la communauté de biens consacrée par le mariage ou encore les communautés de français de l'étranger, ces expatriés qu'on ne saurait désigner sous le vocable d'immigrés. Ces lignes de partage semblent en réalité révéler l'existence de conceptions profondément différentes de la notion de communauté. Aux Etats-Unis, pays dont le peuplement s'est construit autour de l'apport de communautés d'origines fortes et solidaires, mais plus généralement dans le monde anglo-saxon, l'altérité est valorisée comme composante enrichissant la norme commune. L'appartenance à un groupe social et l'attachement à des cultures spécifiques sont des facteurs d'émancipation individuelle, le multiculturalisme est une source de richesse collective. A contrario, la tradition républicaine française, issue de la révolution, considère que le particularisme et la diversité n'ont pas vocation à investir le champ public : les pratiques rituelles particulières doivent s'effacer devant une forme de sacralité de la laïcité et des institutions publiques. Dans cette vision, les communautés, qui se trouvent consubstantiellement positionnées en situation de défiance par rapport à la société globale, constituent des corps susceptibles de menacer la cohésion nationale : elles écornent la fantasmatique d'une pureté culturelle et linguistique constitutive de l'unicité nationale, absolue et quasi-immanente (2). Cette conception ethno-centrée de l'universalité laïque et républicaine, intimement liée à l'affirmation historique d'un centralisme étatique fort, prive précisément le particularisme de son droit à prendre sa part de l'universalité. Au quotidien, les membres des minorités symboliques se voient en effet renvoyer une image négative et problématique, du fait d'attitudes ou de modes de vie supposés, de nature à remettre en question les idéaux républicains, égalitaires et laïcs (3). La visibilité des minorités, devenue hautement sensible, représenterait une forme d'affaiblissement de l'ordre établi et de remise en cause question du creuset fondant le caractère indivisible de la République, en un mot, une de menace de fragmentation de la communauté nationale. Ce schéma général structurant le discours et les cadres de réflexion sur les minorités s'applique toutefois de manière très inégale aux différents types de minorités. L'asymétrie de traitement semble très peu liée aux caractéristiques réelles ou supposées des minorités : la simplification imposée par le rythme médiatique donne rarement lieu à une véritable interrogation de leurs normes, de leurs règles de fonctionnement ou de leurs codes d'appartenance. Les ressorts du traitement des questions relatives aux différentes minorités - communautés semblent en réalité bien plus fonction de leur intégration au corps institutionnel et aux réseaux économiques, et, plus prosaïquement, de la représentation de leurs membres au sein des sphères de pouvoir : le risque communautariste se retrouve de fait circonscrit aux communautés socialement minoritaires. Ainsi, au terme d'un long parcours historique fait de luttes et de drames, les minorités juives, protestantes, homosexuelles et maçonniques ont acquis en France une forme d'acceptation et de légitimité, qui tient avant tout à l'intégration d'une partie des leurs au sein des élites politiques, administratives, économiques et culturelles. De même, les «réseaux sociaux» ou communautés virtuelles et plus généralement l'ensemble des nouvelles formes de néo-tribalismes qui tendent à remplacer les modes de sociabilité traditionnels retirent de leur forte intégration aux structures dominantes une image moderne et fondamentalement positive. (A suivre) Un groupe de lycéens 1- Pierre-André Taguieff, La République enlisée. Pluralisme, communautarisme et citoyenneté, Paris, éditions des Syrtes, 2005 2- Article de Pierre Nora in «la revue Medium, n°4, Profane et sacré en République». 3- Béatrice Durand, la nouvelle idéologie française, Paris, Stock, 2011