Si les Russes pilonnent l'artillerie turque sur son propre sol, c'est la guerre ouverte. Si les forces syriennes ou les Kurdes réagissent en faisant de même (dans quelques jours, le temps qu'ils arrivent à portée de tir ou qu'ils aient l'armement lourd nécessaire), c'est l'escalade. Les Américains réussiront-ils à calmer leur imprévisible allié ? Erdogan est dans une impasse, acculé ; sa seule voie est la fuite en avant. Comme pour les Saoudiens. Englués dans le conflit yéménite, harakirisés par la dégringolade des cours du pétrole qu'ils ont eux-mêmes provoquée, ils voient avec horreur cinq ans d'efforts presque anéantis en Syrie. Les deux «loosers» (dixit Téhéran) se rapprochent toujours plus, quitte à monter tous deux sur le même Titanic. Ankara et Riyad seraient tombées d'accord pour permettre aux avions saoudiens d'utiliser la base turque d'Incirlik tandis que les deux sponsors de l'islamisme renouvellent leur menace d'intervenir au sol en Syrie, Daech étant toujours l'amusant prétexte. Si le premier volet fera long feu (S400...), le deuxième devient intelligible quand on est au courant des derniers développements : l'armée syrienne a atteint un important point stratégique dans la province de Raqqah et n'est plus qu'à une cinquantaine de km de la capitale de l'Etat Islamique. La course à Raqqah est lancée et chacun tente de placer ses pions dans l'optique de l'après-Daech. Est-ce pour faire littéralement faire chanter Damas que les Saoudiens souhaitent être présents en Syrie orientale comme le pense Moon of Alabama, voire carrément créer un sunnistan indépendant ? Sans doute pas. L'intégrité territoriale de la Syrie a été officiellement reconnue par tous les acteurs du conflit et les Etats-Unis perdraient toute crédibilité internationale s'ils laissaient faire leurs alliés wahhabites, dont toutes les ressources militaires sont d'ailleurs scotchées au Yémen. Il s'agit plus vraisemblablement de peser sur l'après-guerre et avoir voix au chapitre sur les négociations futures alors que l'axe Damas-Moscou-Téhéran est en position de force. A moins que tout cela ne soit qu'écran de fumée. Les Dieux de la guerre et de la diplomatie semblent s'être donné le mot pour faire des malheurs à ce pauvre Erdogan. Les déconvenues sultanesques sont tellement nombreuses qu'on ne sait, à vrai dire, par où commencer... Sur le terrain, la continuelle avancée loyaliste et kurde en Syrie du nord, notamment autour d'Alep, scelle l'échec d'Ankara. Cinq ans d'efforts pour rien ! Al Nosra, Ahrar al-Cham et autres délicieux djihadistes sont en voie d'annihilation dans plusieurs provinces ; ne restera plus (pour combien de temps ?) que l'Etat islamique qui sera de toute façon coupé de maman Turquie par la poussée kurde. Tout cela prendra le temps qu'il faudra, les takfiristes peuvent encore résister un certain temps dans la région d'Idleb, la reconquête des territoires daéchiques ne se fera pas du jour au lendemain, mais c'est désormais inévitable. Le vent a définitivement tourné. (A suivre)