Les Etats-Unis ne sont pas en reste. Ayant exclu, sous pression turque, les Kurdes syriens de la table des négociations de Genève (la véritable raison du report des pourparlers), ils se rattrapent en leur mandant un envoyé spécial à Kobané, mortifiant encore un peu plus le sultan. Le journal turc Hurriyet parle même de « détresse » et considère comme tous les analystes que l'ultimatum (choisissez : ou c'est nous, ou c'est le PYD) était infantile. Dans cette course à l'échalote kurde sur le dos des Turcs, Moscou a une longueur d'avance sur Washington. Alors que les Américains frisent la schizophrénie en considérant le PKK terroriste et en faisant les yeux doux à son jumeau PYD, les Russes sont plus cohérents : ni le PKK ni le PYD ne sont classés sur leur liste des mouvements terroristes. Les relations avec le PKK étant d'ailleurs traditionnellement bonnes, Poutine possède un beau joker sous le coude à l'heure de la guerre civile dans le Kurdistan turc. Quant au pauvre Erdogan, son désarroi peut se mesurer à l'hystérie de ses réactions. Le voilà maintenant qui accuse sans rire les Etats-Unis d'avoir créé «une mare de sang » en s'alliant avec les Kurdes ! Les Américains ont certes créé beaucoup de mares de sang dans la région, mais pas celle-là... Dans le même temps, pour bien faire, l'ambassadeur US a été convoqué par le ministère turc des Affaires étrangères. Rarement dans l'histoire, un pays aura perdu autant de crédibilité internationale et d'alliés que la Turquie actuelle. En quelques années, elle a réussi à se mettre à dos la Russie et presque tous ses voisins - la Syrie, l'Irak et l'Iran (avec lequel les relations commerciales pourtant prometteuses se sont arrêtées net, Téhéran se permettant de faire la leçon à Ankara : «Ne vous mettez pas dans le camp des loosers»). Les relations avec l'Occident n'ont jamais été si mauvaises et une suspicion durable s'est désormais installée. Erdogan ne s'arrête d'ailleurs pas là et semble en vouloir au monde entier. Récemment, c'est l'ONU qui a été l'objet de son ire : «Vous moquez-vous de nous ?» a-t-il demandé à l'organisation. On serait tenté de lui répondre : qui ne se moque pas de toi actuellement ? Acculé, le voilà obligé d'avaler une énième couleuvre et implorer le rétablissement des relations avec l'Israël de Netanyahou ; vous savez, celui qu'il qualifiait d'«Hitler» il y a quelques années... Navigation à vue totale, politique au jour le jour, au gré de ses déconvenues. Maigre consolation pour le sultan : grâce aux réfugiés, il a pu faire chanter les Européens, véritables dindons du dindon de la farce. (Suite et fin)