La pièce de théâtre «Babor Ghraq», une tragi-comédie sociale qui a tant marqué la scène algérienne durant les années 1980, a été présentée lundi à Alger, à l'occasion des 50 années de carrière de son auteur et metteur en scène, le dramaturge Slimane Benaïssa, devant un public nombreux et conquis. Accueillie sur les planches de la salle Mustapha-Kateb du Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi (TNA), la pièce, écrite en 1983 et rendue dans son contenu original en 1 h 40 mn de temps, n'a pas pris une ride, renseignant les spectateurs d'hier et d'aujourd'hui sur leur condition sociale, sujette à l'abus et au mal de vie persistant. Trois survivants d'un naufrage, l'intellectuel, l'affairiste et l'ouvrier, respectivement, campés par Mustapha Ayad, Omar Guendouz et Slimane Benaïssa, accrochés à une épave et perdus au milieu de nulle part en pleine mer, se voient contraints de négocier, chacun d'eux cherchant son salut. Evoquant dans une succession de situations à dimensions historique, politique, économique et sociale, la genèse des maux qui rongent la société depuis longtemps déjà, le spectacle dresse dans le rire et la dérision, le constat amère d'une vie aux abois, dans des métaphores permettant au public, la distance nécessaire pour saisir et comprendre ses propres tourments. L'expérience de la scène des trois comédiens, aux longs parcours artistiques a permis une progression régulière à la trame, servie par une mise en scène judicieuse et la densité d'un texte, écrit dans des dialogues directs et allusifs, que Mustapha Ayad, notamment, distribué pour la première fois dans ce spectacle, a mené avec brio, dans un rôle jusque-là rendu par Sid Ahmed Agoumi. La scénographie, faite de l'arrière et l'avant d'un bateau fracassé, d'un long filet, de cordages et de quelques accessoires, a permis une mise en situation directe du naufrage, soutenue par des bruitages de vagues, quelques airs brefs de musique et un éclairage aux atmosphères vives ou feutrées, selon le contenu des tableaux. En présence du ministre de la Culture, Azeddine Mihoubi, le public a accompagné le spectacle d'applaudissements répétés, manifestant ainsi, son adhésion à chaque message émis dans les différentes situations de la pièce, qu'il a qualifié «d'inchangées» et de «mêmes» que celles «connues socialement par le passé». Le jeune public, assistant pour la première fois au spectacle s'est quant à lui dit "étonné" de voir qu'un tel texte qui «raconte la réalité d'aujourd'hui», soit écrit «34 ans auparavant», et de souligner le «rôle et l'importance du théâtre» dans «le processus de prise de conscience» des différents problèmes qui «tirent vers le bas» le progrès social. Slimane Benaissa, romancier, essayiste, auteur d'une vingtaine de pièce de théâtre, et plus de 1 500 représentations en Algérie et quelque 1 800 spectacles à l'étranger, invite le public algérois à revivre le spectacle «Babor Ghraq» telle «une visite muséale» qu'il compte reconduire au TNA jusqu'au 22 juin prochain, avant «une éventuelle tournée nationale», a-t-il confié.