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Massacres et assassinats font entrer la guerre dans une nouvelle phase
Publié dans La Nouvelle République le 16 - 05 - 2018

A la mi-avril, plus de 20 soldats soudanais ont été tués dans une embuscade au nord du Yémen. Le Soudan, qui a envoyé jusqu'à 10 000 soldats au Yémen, appâté par l'or saoudien, est en train de reconsidérer son engagement. Les Etats du Golfe avaient promis au Soudan des investissements et la levée des sanctions américaines en échange de chair à canon. Mais rien n'est arrivé.
La guerre au Yémen de l'Arabie Saoudite, des Emirats arabes unis et des puissances qui les soutiennent, a pour but d'y installer un gouvernement à leur botte. Le peuple yéménite s'y oppose. Il résiste aux forces écrasantes de ses riches voisins. En particulier les Zaidi du nord du Yémen qui détestent leurs voisins wahhabites prosélytes. Leur mouvement Houthi est le fer de lance du combat. Les Yéménites les considèrent habituellement comme des «singes avec des ordinateurs portables».
Pour vaincre la résistance, l'Arabie saoudite a lancé une campagne génocidaire de bombardements assortie d'un blocus qui affame la population. La semaine où les mercenaires soudanais ont été tués, les frappes aériennes des jets saoudiens ont massacré des dizaines de civils yéménites : Une frappe aérienne de la coalition saoudienne a frappé un mariage dans le nord du Yémen, tuant au moins 20 personnes, y compris la mariée, ont déclaré lundi des responsables de la santé publique, et les images déchirantes du bombardement meurtrier ont circulé sur les médias sociaux. C'est le troisième bombardement qui cible des civils yéménites depuis le week-end.
Dimanche soir, une attaque aérienne a frappé une autre maison de Hajja, tuant toute une famille de cinq personnes, selon al-Nadhri. Samedi, au moins 20 civils ont été tués lorsque des avions de combat de la coalition ont bombardé un bus dans l'ouest du Yémen, près de la ville de Taiz, où le combat fait rage depuis trois ans. Après le bombardement du mariage, un garçon, âgé de 3 à 5 ans, s'est agrippé toute la nuit à son père mort (vidéo), refusant de le quitter. Une autre vidéo prise le lendemain matin montre le garçon toujours accroché à son père ainsi que les terribles effets du massacre saoudien.
The Onion n'exagère que légèrement enécrivant que le prince clown saoudien est venu lui-même sur place se saisir de l'enfant pour finir le travail. Les rapports habituels des agences de presse sur le Yémen, à l'instar de celui que je viens de citer, relayent toujours la même estimation de l'ONU selon laquelle plus de 10 000 personnes seraient mortes pendant la guerre. Mais ce chiffre de l'ONU date d'au moins deux ans, il n'a jamais changé, et il ne fait que dissimuler le massacre en cours :
Elisabeth Kendall : La guerre du Yémen : Pourquoi la statistique tant citée des Nations-Unies de 10 000 morts ne semble jamais augmenter ? YemenData indique qu'il y a eu 16 847 raids aériens de la coalition dirigée par Saudiens du 3/2015 au 3/2018 (avec 423 en mars) & MSF a accueilli plus de 97 000 patients en urgence au cours des trois premiers mois de 2017.
Au moins 70 000 personnes ont été tuées par les seuls bombardements. Ce chiffre ne comprend pas les cent mille personnes qui sont probablement mortes de faim, ou de maladies qui auraient facilement pu être évitées. Interrogés sur les chiffres réels, les fonctionnaires de l'ONU refusent de donner une réponse crédible (vidéo). Les frappes de la coalition saoudienne sur les civils ne sont pas le fruit du hasard. Les Saoudiens ciblent les infrastructures, tous les transports de nourriture et de personnes, les établissements de santé et tout rassemblement jugé suspect.
D'autres frappes sont des assassinats ciblés. Unerécente vidéo prise par un drone appartenant aux Emirats arabes unis suit une voiture, près du port de Hodeidah dans le nord-ouest du Yémen, qui est ensuite frappée par un missile. La vidéo est suivie d'une autre, qui provient d'un écran d'une salle d'opérations. On voit des personnes venir au secours des occupants de l'auto après la première frappe. Un deuxième missile les tue tous. Les gens qui se trouvent dans la salle d'opérations expriment bruyamment leur joie.
Cette frappe ciblée «à deux volets» a tué un homme important, ce qui prolongera la guerre : Saleh al-Samad, le président du Conseil politique suprême des Houthis, a été tué lors des frappes de drones, ce qui a porté un coup fatal à un processus de paix yéménite déjà laborieux. Samad était considéré comme une personne plutôt conciliante au sein de la rébellion houthie et avait cherché à parvenir à un règlement négocié de la guerre civile au Yémen. Il devait rencontrer Martin Griffiths, l'envoyé spécial de l'ONU pour le Yémen, le 28 avril.
Les Emirats arabes unis ont soudoyé un neveu de l'ancien président décédé du Yémen Ali Abdullah Saleh pour qu'il les aide à tuer les alliés de son oncle décédé. Je soupçonne les services de renseignements américains, qui ciblent les téléphones mobiles et autres, ou même les troupes américaines sur le terrain, d'être fortement impliqués : Tareq Saleh et ses hommes se sont réfugiés aux Emirats arabes unis, apportant avec eux une connaissance approfondie du fonctionnement intérieur des Houthis.
La mort de Samad n'était pas un incident isolé. Un certain nombre d'importantes personnalités houthies, qui avaient toutes des liens étroits avec l'ancien président Saleh, ont été tuées récemment. Mansour al-Saidi, le commandant des forces navales houthies ; Salah al-Sharqai, son adjoint ; Nasser al-Qaubari, le grand général des forces de missiles houthis ; et Fares Manea, un trafiquant d'armes notoire et ancien gouverneur de Saada, ont tous été tués par des frappes aériennes la semaine dernière. Tuer les dirigeants des mouvements de résistance n'est pas une stratégie efficace. Les leaders assassinés sont généralement remplacés par des extrémistes plus habiles ou plus brutaux qui se soucient moins de causer des dommages collatéraux : Le successeur de Samad, Mahdi al-Mashat, qui a été nommé lundi, est un dur à cuire qui entretient des liens étroits avec le Hezbollah au Liban.
Ali al-Bukhaiti, un ancien responsable houthi maintenant basé à Amman, en Jordanie, affirme que le puritanisme grandit au sein du mouvement. «Mashat est l'exact opposé de son prédécesseur : Il ne prend pas de gants, il menace et ne fait pas de compromis», dit-il. «Il ne construit pas de relations, il les détruit.» Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans la capitale yéménite Sanaaa pour la cérémonie des funérailles de Saleh al-Samad. Des jets saoudiens survolaient la foule et ont largué des bombes tout près. La foule ne s'est pas laissé impressionner.
Personne ne s'est enfui, au contraire tout le monde s'est levé (ils étaient assis par terre) et s'est mis à psalmodier (vidéo) des slogans houthis. Ils sont prêts à se battre et ils sont loin d'être vaincus. Les Emirats arabes unis ont leurs propres objectifs au Yémen. C'est pour l'argent qu'ils y sont. Les Emirats arabes unis occupent l'île yéménite de Sakrota, le «joyau de l'Arabie» protégé par l'Unesco, et volent ses ressources naturelles.
Aden, au sud du Yémen, est également occupé par les Emirats arabes unis. La société émirienne Dubaï Port, aujourd'hui DP World, veut contrôler le port d'Aden. Mais les mères d'Aden se laissent mourir de faim pour garder leurs enfants en vie. Il n'y a pas d'Etat, pas de sécurité et les docteurs, les enseignants, ni les balayeurs de rue, ne sont payés pour leur travail. Il y a des aliments disponibles sur les marchés, mais les gens n'ont plus les moyens de les acheter. Le professeur Isa Blumi de l'Université de Stockholm affirme (radio) que la guerre au Yémen n'est pas une guerre civile, ni même une guerre menée par les puissances locales, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Il s'agit d'une guerre impériale menée par de grandes puissances ayant une profonde histoire coloniale.
Ni les Emirats arabes unis ni l'Arabie saoudite ne pourraient faire quoi que ce soit au Yémen sans l'aide et le soutien de la Grande-Bretagne (pdf) et des Etats-Unis : Des milliers d'employés britanniques et non britanniques d'entreprises britanniques travaillent en Arabie saoudite pour former, installer, entretenir et aider à faire fonctionner des avions fournis par le Royaume-Uni et d'autres équipements militaires, y compris les chasseurs-bombardiers Tornado IDS et les chasseurs Typhoon qui constituent un peu moins de 50% des avions de combat en service de la Force aérienne royale saoudienne (FARS). Le Royaume-Uni s'est engagé à fournir à la FARS du personnel civil et militaire britannique pour entretenir et armer les aéronefs fournis par le Royaume-Uni utilisés par la FARS dans un conflit armé.
Les responsables britanniques interrogés pour cet article, et au moins un des accords de gouvernement à gouvernement régissant la fourniture de systèmes d'armes britanniques à la FARS, suggèrent donc que le ministère de la Défense britannique a une connaissance détaillée des rôles et des activités du personnel britannique, tant civil que militaire, privé et gouvernemental, en Arabie saoudite, ainsi que de l'utilisation des avions fournis par le Royaume-Uni et de leurs munitions.
Le cabinet d'experts IHS Janes a récemment rapporté que les Etats-Unis recherchent des sociétés privées pour sauver leurs soldats au Yémen: L'armée américaine recherche des firmes privées capables d'évacuer par transport aérien des membres des forces spéciales opérant dans et autour du Yémen, ainsi que des blessés et des malades. Pourquoi les Etats-Unis en auraient-ils besoin ? Et pourquoi dans des endroits aussi bizarres ? (Et pourquoi le Commandement des opérations spéciales des Etats-Unis sous-traiterait-il une tâche militaire aussi spécialisée, dangereuse et importante ?) Jusqu'à présent, les Etats-Unis ont juré que très peu de leurs soldats poursuivent Al-Qaïda dans le sud du Yémen.
Ces opérations sont censées être des opérations éclairs avec soutien aérien direct des Etats-Unis. Les Etats-Unis minimisent leur soutien, en matière de renseignement et de ravitaillement aérien, aux bombardements saoudiens des hôpitaux et des mariages. En réalité, aucun avion saoudien ne volerait sans le soutien direct des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Nous apprenons maintenant que les soldats américains sont aussi directement impliqués dans les combats sur le terrain :
A la fin de l'année dernière, une équipe d'une douzaine de Bérets verts est arrivée à la frontière de l'Arabie saoudite avec le Yémen, dans une perpétuelle escalade des guerres secrètes étasuniennes. En dehors de pratiquement tout débat public, les commandos de l'armée aident à localiser et à détruire les caches de missiles balistiques et les sites de lancement que les rebelles houthis au Yémen utilisent pour attaquer Riyad et d'autres villes saoudiennes.
Le long de la frontière poreuse, les Américains utilisent des avions de surveillance pour recueillir des signaux électroniques et repérer les armes houthies et leurs sites de lancement. Ils travaillent également en étroite collaboration avec les analystes du renseignement américain à Najran, une ville du sud de l'Arabie saoudite qui a été attaquée à plusieurs reprises par des roquettes, pour localiser les sites de missiles houthis au Yémen. Les médias américains semblent soutenir la guerre des Etats-Unis contre le Yémen. Dans une récente interview sur CNN, le sénateur Rand Paul a demandé qu'il y ait au moins un débat sur la guerre au Congrès américain. L'animateur de CNN Wolf Blitzer a rejeté sa proposition (vidéo) en disant qu'il s'agissait d'une «question morale».


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