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Dans la forêt d'Oslo pousse la bibliothèque du futur
Publié dans La Nouvelle République le 04 - 06 - 2018

David Mitchell crapahute entre de vertigineux épicéas centenaires, sur un sentier de la forêt de Nordmarka. Une petite centaine de personnes, dont de nombreux enfants, s'enfoncent avec le romancier dans les bois, à quelques kilomètres d'Oslo, dans le sud de la Norvège.
Ce 28 mai 2016, l'auteur de Cartographie des nuages – best-seller adapté au cinéma en 2012 – est fébrile. Il transporte son dernier ouvrage, soigneusement enfermé dans une boîte en noyer portant son empreinte sur le couvercle. L'écrivain britannique a mis le point final à From Me Flows What You Call Time («De moi coule ce qu'on appelle le temps») seulement quatre jours plus tôt, selon Wired. Après avoir imprimé le court manuscrit, il a supprimé le fichier de son ordinateur et effacé toute copie. Au grand désespoir de ses fans, qui ne pourront sans doute jamais lire cette œuvre unique. Elle restera cachée durant les cent prochaines années.
Après le poète islandais Sjón en 2017, c'est au tour de la romancière turque Elif Shafak de suivre le même chemin, ce samedi 2 juin 2018, et de confier un mystérieux livre. Et ainsi de suite, avec un nouvel auteur chaque année, jusqu'en 2114. C'est seulement à ce moment-là que les œuvres inédites des cent élus seront révélées et imprimées sur du papier fabriqué à partir de pins de Nordmarka. La forêt norvégienne où pousse la Bibliothèque du futur.
Des feuilles des arbres aux feuilles des romans
L'idée de ce projet un peu fou a germé «il y a de nombreuses années» dans l'esprit de Katie Paterson. «Je dessinais les cercles de croissance d'un arbre et cela m'a fait penser aux chapitres d'un livre, se remémore l'artiste écossaise. J'ai fait le lien entre les feuilles des arbres et les feuilles des romans.» Le concept prend vie en 2011. La Britannique est alors invitée en Norvège par la commission chargée du réaménagement de l'ancien quartier portuaire de Bjorvika, au bord du fjord d'Oslo. Le front de mer est en pleine métamorphose : les chantiers navals et les autoroutes doivent laisser place à des musées, des appartements et des parcs. «Nous avons proposé à plusieurs artistes de réfléchir à une œuvre d'art pour le quartier», raconte Anne Beate Hovind, membre de la commission et présidente de la fondation Bibliothèque du futur.
Katie Paterson la recontacte. Elle s'immerge une semaine dans les bois de Nordmarka, dans une cabane sans eau courante ni électricité, pour «réfléchir à la meilleure façon de concrétiser ce lien entre mots et arbres». La solution : demander à cent auteurs d'écrire des œuvres qui ne seront publiées qu'en 2114, lorsque des arbres plantés spécifiquement à cet effet seront assez grands pour être abattus et transformés en papier.
Séduite, la municipalité d'Oslo alloue une zone de la forêt de Nordmarka pour planter mille pins et promet de réserver une salle de la future bibliothèque publique à la conservation des manuscrits. Les curieux pourront la visiter à partir de 2020. Une fondation est créée pour assurer la pérennité du projet et choisir l'auteur qui, chaque année, contribuera à la Bibliothèque. Katie Paterson et Anne Beate Hovind y siègent, aux côtés de représentants de la ville et d'éditeurs (deux Norvégiens et un Britannique). «Les auteurs sont choisis pour leur contribution remarquable à la littérature et à la poésie, autour des thèmes de l'imagination ou du temps», précise l'artiste. La fondation vise tant que possible la parité et cherche surtout à inclure «de nombreux pays et de nombreuses langues».
«Je me suis dit que c'était fou»
Mais vers quel écrivain se tourner en premier ? Pour Katie Paterson, Margaret Atwood est une évidence. La Canadienne, auteure de La Servante écarlate, connue pour ses romans de «fiction spéculative», accepte au bout de cinq jours seulement. «Elle voyait cette proposition comme la demande d'un proche qui a besoin d'une greffe du rein : on doit immédiatement répondre oui ou non», se rappelle Katie Paterson.
D'autres auteurs luttent plus longtemps avec le concept. Il faut «deux ou trois mois» à David Mitchell pour «commencer à croire à l'idéalisme derrière le projet». «Au début, je me suis dit que c'était fou», raconte le romancier britannique dans un entretien avec Katie Paterson.
Les auteurs ne doivent respecter que deux règles : l'œuvre ne peut pas être une photo et elle doit rester secrète. «Ce peut être un seul mot ou autant qu'on peut en écrire dans les quelques mois dont on dispose», détaille l'Islandais Sjón, contributeur pour l'année 2016. Katie Paterson «pensait que les auteurs écriraient des nouvelles, mais [le manuscrit] de Margaret Atwood avait l'air plutôt lourd», selon Wired. David Mitchell n'a en revanche pu rédiger que 90 pages, rapporte le Telegraph.
Pour le reste, les auteurs ont carte blanche. «On peut écrire dans n'importe quelle langue et n'importe quel genre», note Sjón. Le poète islandais (par ailleurs parolier de Björk) a «bien sûr» choisi sa langue natale pour rédiger As my Brow Brushes on the Tunics of Angels or The Drop Tower, the Roller Coaster, the Whirling Cups and Other Instruments of Worship from the Post-Industrial Age («Quand mon front frôle les tuniques des anges ou La Tour de chute, les montagnes russes, le manège des tasses et autres instruments d'adoration de l'âge post-industriel»). Non sans se poser quelques questions. «Environ 370 000 personnes, au grand maximum, parlent l'islandais dans le monde, rappelle Sjón. Des langues s'éteignent chaque jour. Rien ne dit qu'il y aura toujours quelqu'un qui sait parler et lire l'islandais en 2114 !»
«Un vote de confiance en l'avenir»
Sjón a «parfois été tenté» de briser le secret. «Je pensais être très indépendant dans mon écriture, mais je me suis rendu compte que j'avais l'habitude d'échanger sur tel ou tel passage avec des proches. Heureusement, j'ai quelques techniques empruntées aux surréalistes pour éviter le syndrome de la page blanche», confie l'auteur islandais, qui a finalement tenu le coup.
David Mitchell a, lui, déjà révélé un petit détail sur son œuvre. «Pour la première fois, je n'ai pas à me préoccuper des droits d'auteur parce que, dans cent ans, tout sera tombé dans le domaine public, s'amuse l'auteur britannique dans le Telegraph. J'ai donc cité Here Comes the Sun, des Beatles. Mais je n'étais pas censé le dire...» La fondation ne lui reprochera pas cette légère indiscrétion. Elle n'a tout simplement pas envisagé qu'un auteur trahisse le secret de la Bibliothèque du futur. «Ce projet repose sur la confiance», sourit Anne Beate Hovind.
Au-delà du droit de citation, écrire pour le XXIIe siècle présente certains avantages : pour une fois, les écrivains n'ont pas à se soucier de la critique. Ni de la postérité. «C'est un cocktail d'humilité et de vanité pour les auteurs», résume David Mitchell dans le Telegraph. «D'un côté, il est difficile de ne pas avoir de réaction à une œuvre. De l'autre, c'est le seul livre dont je suis sûr qu'il sera encore lu dans cent ans, ce dont tout écrivain rêve», abonde Sjón. Reste à savoir si les lecteurs seront vraiment au rendez-vous en 2114. «Est-ce qu'il y aura encore des êtres humains attendant de recevoir [ces manuscrits] ?, s'interrogeait Margaret Atwood lors de la cérémonie de remise de Scribbler Moon (littéralement La lune scribouilleuse ), en 2015, selon le Guardian. Est-ce qu'il y aura une Norvège ? Est-ce qu'il y aura une forêt ?»
David Mitchell est plus optimiste. La Bibliothèque du futur est «un vote de confiance en l'avenir». «Cela nous fait espérer (...) qu'il y aura des hommes, des arbres, des livres, des lecteurs et une civilisation», martèle-t-il dans le Guardian. A l'heure de la numérisation et de la dématérialisation, les auteurs ont la certitude que cette anthologie sera publiée sur du papier. «C'est un projet mondial qui unit les gens qui aiment les histoires, mais aussi à qui la planète importe», approuve Sjón.
Mettre les manuscrits à l'abri de l'imprévu
Ces futures générations sont au cœur du projet : chaque année, des enfants assistent à la remise rituelle des manuscrits dans la forêt. «J'emmènerai mon bébé à la prochaine cérémonie, confie Katie Paterson. Je ne serai pas là pour voir ce projet se réaliser, mais peut-être que mon enfant lira cette anthologie dans quatre-vingt seize ans, dans une maison de retraite.» Du moins si rien ne vient perturber ses plans. «Il y a beaucoup d'imprévus possibles. La forêt pourrait brûler ou être détruite par une tempête ; les manuscrits pourraient être volés...», énumère Anne Beate Hovind, présidente de la fondation. Impossible également de prévoir avec certitude combien d'anthologies pourront être imprimées en 2114. «Cela dépendra de la longueur de chaque manuscrit.»
N'allez pas croire que la fondation ne fait rien pour anticiper l'avenir. «Nous laisserons les recommandations les plus claires possibles à nos successeurs, pour qu'ils assurent la pérennité du projet, garantit la Norvégienne. Et nous avons déjà paré à certaines éventualités : une copie de chaque manuscrit sera conservée dans les archives de la ville, très sécurisées, pour éviter que les manuscrits ne soient perdus.» Les écrivains de la Bibliothèque du futur peuvent donc dormir tranquille. «Il y a quelque chose de magique là-dedans, s'enthousiasmait Margaret Atwood sous un parapluie mauve, en 2015, au milieu des jeunes pousses d'épicéas. J'envoie un livre dans le futur.»
Que découvriront les lecteurs dans ces anthologies ? Qui s'intéressera encore au projet ? «Comme il est étrange de penser que ma propre voix, alors silencieuse depuis bien longtemps déjà, s'éveillera soudainement dans cent ans, ajoutait l'auteure. J'imagine cette rencontre, entre mon texte et un lecteur qui n'est pas encore né, un peu comme le jour où j'ai vu une empreinte de main sur le mur d'une grotte mexicaine restée fermée pendant plus de trois cents ans. (...) Le message était universel. [Cette empreinte] disait : 'Salutations. Je suis passé par là.'» Et 99 auteurs après Margaret Atwood passeront par la forêt de Nordmarka.


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