Pour avoir décidé de mettre totalement hors de cause le directeur régional des douanes, impliqué dans l'affaire des conteneurs détournés du port d'Annaba, un juge du tribunal de Annaba s'est retrouvé muté à Ouargla. Cette décision a suffi à faire comprendre aux autres magistrats, greffiers et avocats (sept de ces derniers ont été suspendus) que le temps est venu de rejoindre le mouvement, pour crever le mur de la peur. Bien qu'ils ne l'aient pas exprimé clairement, c'est leur dépendance d'une justice corrompue à différents niveaux qui les froisse et motive leur colère. L'éclatement des affaires, telles celles des 701 kg de cocaïne impliquant l'ex directeur général de la sûreté nationale Abdelghani Hamel, et celle des conteneurs détournés du port de Annaba par son frère directeur régional des douanes, en poste dans cette même wilaya, sont venus s'ajouter à beaucoup d'autres. Telles que celles des responsables au plus haut niveau de l'État qui, eux et leurs familles, ont usé et abusé en Algérie et à l'étranger des moyens humains et matériels de la république. Les citoyens en ont fait des discussions de tous les jours. C'est que, en l'État de déliquescence générale, de l'apparente paralysie des structures de la République et, surtout, de la tendance à substituer le droit par le diktat du pouvoir, des voix se sont élevés pour appeler à un sursaut des consciences et l'application d'une justice égale pour tous. Il s'agit d'éléments des services de la présidence qui ont créé l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Aussitôt dit, aussitôt fait. Il reste que le peuple attend qu'on lui explique pour quelle raison la machine judiciaire a été si passive et si nonchalante sur certaines affaires, et si diligente sur d'autres. Et pourtant, que ce soit parmi les membres du gouvernement, ceux de l'Assemblée populaire nationale, le Sénat, ou parmi les entreprises et les groupes d'entreprises, les méfaits étaient devenus légion. La «capture» du DGSN, Abdelghani Hamel, directement impliqué dans l'affaire des 701 kg de cocaïne qu'il a voulu introduire en Algérie avec la complicité du «Boucher», celle de son frère au port de Annaba, pour escroquerie internationale, ou la toute dernière du sénateur pris en flagrant délit de corruption ne nécessitaient pas un autre temps de réflexion pour signifier, au moins, des citations à comparaître. Des dossiers beaucoup plus importants, tels le pillage des biens de l'État, l'introduction d'importantes cargaisons de produits étrangers sans déclarations de douanes, le trafic et le transfert de devises, n'ont toujours pas été ouverts. Les citoyens s'étonnent que la justice n'ait pas jugé nécessaire d'aller voir ce qui se passe dans les entreprises publiques où les mises à sac par des responsables malhonnêtes et corrompus se poursuivent. C'est pourquoi l'annonce de la création et la mise en action d'OCL/CIFF ont été bien accueillies. Par contre, ces mêmes citoyens ont été étonnés de voir qu'individuellement, ou collectivement, les magistrats du ministère public n'ont pas réagi à la multitude de plaintes déposées, preuves à l'appui, par le collectif des travailleurs. Pis, tous ont fermé les yeux sur les vrais pyromanes. Aussi les voit-on procéder, dans un désordre inouï, à des citations à comparaître parmi les travailleurs et gens de la presse visiblement ciblés. Normalement, comme cela se passe partout ailleurs, la justice intervient lorsque s'étalent des scandales socioéconomiques qui ternissent l'image d'une nation. Surtout ceux qui enveniment les bases du vivre ensemble et de ses composantes.