Dans ce long plaidoyer où il commence par rendre hommage à la jeunesse algérienne, le professeur Abderrahmane Mebtoul analyse les handicaps, tant politiques qu'économiques, qui accablent l'Algérie, nonobstant son immense potentiel. Se projetant ensuite dans la prospective, il évoque les scénarios d'avenir et plaide avec moult arguments et une grande conviction pour «une réforme globale indispensable (…) en aplanissant les divergences par le dialogue et la concertation». L'Algérie, acteur indispensable à la stabilité euro-méditerranéenne et africaine, peut faire aboutir un processus des réformes inséparables d'une profonde démocratisation de sa société. Dans le monde des affaires les sentiments n'existant pas, seules les réformes permettront la croissance économique et la réduction des lancinants problèmes du chômage et de la pauvreté. Tout obstacle à ces réformes ne fait que diminuer le taux de croissance, accroît l'insécurité du pays et, par là, contribue à la déstabilisation sociale et politique. Le temps étant de l'argent, tout retard dans le processus des réformes induira des coûts sociaux plus importants, et supportés par les plus défavorisés. Une vision stratégique pour dépasser une crise multiforme Il est temps d'avoir des prospectives à moyen et long terme, afin de corriger les erreurs du passé, comme naviguer à vue en ignorant les aspirations de la société. La question stratégique est la suivante : ira-t-on vers un réel changement salutaire en réorganisant la société, du fait des bouleversements géostratégiques mondiaux annoncés entre 2019-2025-2030 ou, grâce à la distribution passive de la rente, se satisfera-t-on simplement d'un replâtrage, différant dans le temps les inévitables tensions sociales ? Ce sont là des raisons suffisamment importantes pour envisager sérieusement de réorganiser le système partisan et la société civile pour qu'ils puissent remplir la fonction qui est leur dans tout système politique démocratique conciliant la modernité et notre authenticité, loin des injonctions administrative. La refonte de l'État, dont l'administration, l'intégration de la sphère informelle, les réformes des systèmes financier, fiscal, douanier et socio-éducatif, les mécanismes nouveaux de la régulation et de la cohésion sociale, l'optimisation de l'effet des dépenses publiques et la nouvelle gestion des infrastructures reposant sur la rationalisation des choix budgétaires… posent la problématique du devenir de l'économie algérienne pour renouer avec la croissance et atténuer, par voie de conséquence, le chômage. L'économie algérienne est une économie actuellement totalement rentière avec plus de 98 % d'exportation avec les dérivés (600 millions seulement d'exportation de produits manufacturés en 2018 contrairement à de faux discours) provenant de l'éphémère ressource d'hydrocarbures allant vers l'épuisement. Idem pour environ 96 milliards de dollars de réserves de change (à la fin de février 2019), qui seront volatilisés d'ici à la fin de 2022, en cas de non-changement de politique économique et au rythme actuel des sorties de devises. D'autre part, le volume global du financement non-conventionnel a atteint 6 556 milliards de DA au 31 janvier 2019, dont 2 185 milliards de DA en 2017, 3 471 milliards de DA en 2018 et près de 1 000 milliards de DA en janvier 2019, avec un emprunt supplémentaire d'une valeur de 500 milliards de DA, dont une grande partie sera destinée à la Caisse nationale des retraites (CNR), représentant environ 28 % du PIB. Dans le même temps, la dette publique, qui s'élève à plus de 36 % du PIB à la fin de 2018, risque de conduire dans deux à trois ans à une spirale inflationniste incontrôlée. La réforme globale est la condition indispensable à la production et aux exportations hors hydrocarbures, évitant ces subventions généralisées, sans ciblage et socialement injustes, ainsi que les assainissements des entreprises publiques, répétés mais sans résultats probants. Comme je l'ai rappelé souvent, en ce mois de février 2019 – et cela ne date pas d'aujourd'hui –, l'Algérie traverse avant tout une crise de gouvernance ce qui implique d'avoir une vision stratégique du devenir de l'Algérie à l'horizon 2030. L'Algérie a toutes les potentialités, pour dépasser les tensions politiques, sociales et économiques actuelles mais doit s'attaquer à l'essentiel et non au secondaire, conformément à une « loi » des sciences politiques : 20 % d'actions bien ciblées ont un impact de 80 %. Mais 80 % d'actions mal ciblées ont un impact seulement de 20 %. L'Algérie a besoin pour sa crédibilité nationale et internationale, de tensions géostratégiques au niveau de la région et des tensions budgétaires inévitables entre 2019-2020-2025 de rassembler tous ses enfants dans leur diversité et non de nous diviser, nécessitant un minimum de consensus économique et social qui ne saurait signifier unanimisme, signe de décadence de toute société afin de stabiliser le corps social. Les réformes – au-delà des résistances naturelles des tenants de la rente –, en réhabilitant la bonne gouvernance (la lutte contre la corruption, concrètement et pas seulement par des textes de lois) et le capital humain, sont la base du développement. Les cris de la jeunesse en ces mois de février et mars 2019 pour un profond changement doivent être entendus afin que l'Algérie puisse relever les défis du XXIe siècle caractérisés, en ce monde interdépendant en perpétuel mouvement, par d'importants bouleversements géostratégiques tant dans le domaine sécuritaire, économique, politique, social et culturel. Face aux inévitables tensions budgétaires et les enjeux géostratégiques 2019-2025-2030, la réussite des réformes doit reposer, sur quatre axes : rassemblement, refondation de l'État, démocratisation et réformes économiques conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale. (Suite et fin) Le professeur Abderrahmane Mebtoul, économiste, expert international