Tout grand auteur dispose de petits secrets de confection, mais nous, humbles lecteurs, n'entrons que rarement dans les cuisines de la création. Mais au croisement de ces univers, un ouvrage signé Jane Austen a débarqué en juin dernier. Publié par la Bodleian Library Publishing, il s'agit d'une véritable découverte... Voici le livre qui apporte une nouvelle saveur à la vie de l'autrice : signé Martha Lloyd, qui compila des recettes entre 1798 et 1830, cet ouvrage pour ménagère a vécu durant des années au sein de la famille Austen. Dans le cottage de Chawton, Jane, Cassandra (fille) et Cassandra (mère) vécurent en effet avec cette femme, considérée comme la seconde sœur de Jane. « Elle est l'amie et la sœur, en toutes circonstances», écrivit Jane dans un courrier d'octobre 1808. Elles se rencontrèrent quand Jane avait 13 ans, et Martha 23, en 1789. Pour la jeune adolescente, cette autre grande sœur deviendra une véritable confidente. Le 7 juillet 1809, les Austen et leur amie Martha emménagèrent ainsi dans le cottage – et la famille y vécut bien après la mort de Jane en 1817. L'ouvrage qu'elle avait rédigé recensait «des recettes et des remèdes médicaux rassemblés par des femmes pour aider à gérer leur maison». Or, si Jane détestait les tâches ménagères comme on le sait, elle n'en appréciait pas moins le travail de compilation de son amie. Et manifestait apparemment une certaine gourmandise : pour exemple, cette recette du fromage grillé, la favorite de Jane : «Râpez le fromage, ajoutez-y un œuf, une cuiller à café de moutarde et un peu de beurre. Déposez sur un toast ou sur du papier». Et avec, que boire ? De l'hydromel, manifestement, avec une comptabilisation précise : pour chaque gallon d'eau, quatre livres de miel. On y retrouve même une soupe blanche qu'Austen intégra dans son roman «Pride and Prejudice» (Orgueil et Préjugés)... Le livre de Martha Lloyd, nous apprend le Guardian, fut revendu en 1956 par l'un des descendants de la famille, pour 5 £, au Jane Austen Memorial Trust. Et Julienne Gehrer, qui édite le livre pour cette version en fac-similé 2021, l'y découvrit pour la première fois. Quant à cette édition, elle contient les transcriptions manuscrites de Lloyd, ainsi que les pages tachées de la version originale. Selon Gehrer, les lecteurs ne manqueront pas de tisser des liens entre les scènes domestiques des romans de Jane Austen, et les différentes recettes qui composent l'ouvrage. Selon l'éditrice, ces livres de ménage étaient «essentiellement le Google du foyer au XVIIIe siècle». Une partie des recettes avait déjà été publiée dans les années 70, note tout de même Gehrer, mais cette version restera la première en fac-similé, donnant un aperçu authentique des recettes du début du XIXe siècle. Il n'y manquerait que des annotations de la main même de Jane pour parachever le tableau. Malheureusement, déplore l'éditrice, rien de cela : «Tout ce que nous pouvons faire, c'est établir les connexions entre ce que Martha avait recueilli et ce que Jane a utilisé dans ses lettres et ses romans.» Ce qui n'en rend pas la lecture moins délicieuse. Notons qu'un autre livre, signé Laura Boyle, proposait déjà de cuisiner avec Jane Austen : sorti en 2010, Cooking with Jane Austen and Friends exposait une quarantaine de recettes, du petit-déjeuner au dîner, en passant par le thé ou les mariages.