Pour les antiquisants, mais aussi pour les amoureux de la Grèce antique et sa littérature, il s'agit d'une découverte exceptionnelle : des fragments auparavant inconnus de deux tragédies perdues du Grec Euripide ont été découverts sur le site d'ancienne Egypte, Philadelphie, situé à une centaine de kilomètres au sud-ouest du Caire. Des chercheurs de l'Université du Colorado à Boulder ont en effet mis au jour des fragments inédits de deux tragédies perdues de l'auteur du Ve siècle avant J.C. Selon le professeur de Lettres classiques John Gibert, qui a participé à l'étude, ces morceaux doivent même être considérés comme les découvertes les plus importantes dans le domaine depuis les années 1960… Yvona Trnka-Amrhein, professeure adjointe dans le département des Lettres classiques de l'université américaine, a reçu en novembre 2022 un papyrus de la part de Bassem Gehad, archéologue au ministère égyptien du Tourisme et des Antiquités. Les 98 lignes de la pièce ont été étudiées par la chercheuse par l'entremise d'une photographie en haute résolution, conformément à la loi égyptienne qui interdit l'exportation physique d'artefacts. En parallèle, a été mis au jour à Hermopolis Magna, une statue colossale de Ramsès II. «Mort, chaos, suicide» Le papyrus, qui mesure 10,5 pouces carrés (67,7 centimètres carrés), a révélé des lignes de textes qui, après analyse, ont été attribuées à deux œuvres méconnues d'Euripide : Polyidus et Ino. Accompagnée par John Gibert, spécialiste des fragments d'Euripide, Yvona Trnka-Amrhein s'est appuyée sur le Thesaurus Linguae Graecae – une base de données du même nom regroupant l'ensemble des textes écrits en grec depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours -, pour confirmer l'authenticité – notamment si ça correspond aux normes de style et de mètre tragiques -, comme l'originalité des textes. Après plusieurs mois de travail, ils ont identifié que 80 % du contenu était inédit, tandis que les 22 lignes restantes étaient déjà connues, mais présentées ici sous des formes légèrement différentes. Selon Bassem Gehad, le papyrus date du IIIe siècle après J.C., période de l'Egypte post-hellenistique. Polyidus revisite un mythe crétois où un voyant du même nom est chargé par le roi Minos et la reine Pasiphaé de ressusciter leur fils Glaucus, noyé dans une cuve de miel. « Cela se termine assez bien. Ce n'est pas l'une de ces tragédies où tout le monde finit par mourir », analyse Yvona Trnka-Amrhein, décrivant comment Polyidus utilise une herbe pour ramener le garçon à la vie. Le papyrus inclut aussi une scène de débat entre Minos et Polyidus sur la moralité de la résurrection, révèle l'universitaire. Quant à Ino, le fragment redéfinit le rôle du personnage éponyme de la mythologie, traditionnellement perçu comme une belle-mère maléfique. Dans cette nouvelle version, elle est la victime d'une autre femme, la troisième épouse du roi, qui tente de supprimer ses enfants. Cette intrigue se termine tragiquement lorsque la belle-mère finit par tuer ses propres enfants et se suicider… « C'est une tragédie plus traditionnelle : mort, chaos, suicide », résume Yvona Trnka-Amrhein. La tragédie grecque avait communément plusieurs rôles dans les cités de la Grèce antique, outre de divertir, rassembler les citoyens et révéler les forces qui s'affrontent à l'intérieur de chacun : rappeler aux mortels que le destin est écrit à l'avance, et que la mort était celui que partageaient tous. Paradoxalement, ces deux éléments devaient donner de la force à la guerre. Une partie d'Ino était inscrite sur des falaises en Arménie, qui ont été détruites lors de conflits modernes. Fort heureusement, des savants russes du début du XXe siècle avaient préservé les images dans des dessins. Dans les fragments précédemment connus d'une pièce apparentée, Ino est une belle-mère maléfique déterminée à tuer les enfants de son mari, le roi de Thessalie, issus d'un précédent mariage. Le nouveau fragment introduit donc une nouvelle intrigue, selon Yvona Trnka-Amrhein. Les conclusions de cette étude seront présentées lors du Neuvième Symposium Fountain le 14 septembre prochain, sur le campus de CU Boulder, avec des interventions de spécialistes renommés tels que Paul Schubert, Laura Swift et Sarah Iles Johnston. À cette occasion, le format de l'événement sera modifié pour favoriser le dialogue et l'échange avec le public. « Nous nous sentons extrêmement chanceux d'avoir travaillé sur ce matériel et attendons avec impatience les réactions du monde », conclut Yvona Trnka-Amrhein.