Dans son nouveau roman Kiffe Kiffe hier, la Franco-algérienne renoue avec Doria, l'héroïne de son premier roman paru il y a vingt ans et qui fut un best-seller. Vous avez souvent raconté les circonstances de l'écriture de votre premier roman. On sait comment au lycée votre talent d'écrivain a été repéré par votre professeur de français, sur les recommandations duquel vous avez rejoint un atelier d'écritures qui a fait de vous l'écrivain que vous êtes devenue. Mais je crois savoir qu'avant même de rejoindre cet atelier d'écriture, vous écriviez. Comment est né ce désir d'écriture ? Après sept romans, j'ai encore du mal à répondre à cette question parce que je suis venue à l'écriture de manière très naturelle. C'est vrai que j'ai toujours écrit, avant même de rejoindre l'atelier d'écriture à Pantin où j'habitais. Chez moi, j'ai grandi dans un environnement où raconter des histoires était une seconde nature. Longtemps, pour moi, écrire a voulu dire raconter des histoires. Mais devenir écrivain c'était autre chose, chose qui était tellement loin de mon quotidien que longtemps je ne me suis pas autorisée à exprimer cette ambition à haute voix. Mais un jour, je suis tombée sur un carnet dans lequel j'avais écrit en toutes lettres – je devais avoir treize ou quatorze ans – que mon rêve serait d'écrire un livre. Il y a quelque chose dans l'idée d'écrire qui me faisait rêver... Mais que je me sois autorisée à jeter ce rêve sur le papier, dans un carnet d'adolescent, avec pour complice mon stylo-plume, ça m'étonne encore ! D'où venait ce rêve ? De vos lectures ? Non, il ne vient pas de mes lectures, c'est certain. Ce rêve est antérieur à mon apprentissage de lectures. Je crois que ma fascination pour les livres et l'écrit vient de mon grand-père maternel. Il avait passé du temps en France, notamment à Paris, avant la guerre d'Algérie. On raconte dans la famille que de voir les gens passer leur temps à lire, dans les trains, aux terrasses de café, avait été une expérience particulièrement émouvante pour lui. Il y avait des livres partout. Pour le berger analphabète qu'il était, ce monde peuplé de livres et de lecteurs plongés dans la lecture avait quelque chose de magique. Il n'avait bien sûr pas accès à ce monde qu'il devait se contenter de regarder de loin. Alors, en rentrant en Algérie, il s'est certes engagé dans la guerre de l'indépendance pour chasser les Français, mais il n'a jamais oublié combien les Français aimaient lire. Il a insisté pour que ses enfants aillent à l'école et qu'ils apprennent à lire et à écrire, dans l'espoir qu'ils écriront ou liront un jour, comme ces Français qu'il avait vus pendant son séjour parisien. Je crois que ce désir-là s'est transmis de génération en génération. Je dois à ce grand-père mon intérêt pour cet univers un peu mystérieux et merveilleux qu'est celui de la lecture et de l'écriture. J'imagine que la découverte de la littérature est venue ensuite arroser la graine que cet aïeul lointain avait plantée en vous. Qui sont les auteurs qui vous ont influencée ? Il y a beaucoup d'auteurs qui m'ont influencée, mais si je devais citer un nom, ce sera sans doute celui de James Baldwin. C'est un auteur qui me touche énormément. Mon écriture s'est forgée au contact de ses romans et ses essais. C'est en lisant ses livres qui documentent la société américaine de son époque, que j'ai appris à me positionner en tant que femme d'origine maghrébine vivant dans une société occidentale dominante et à refuser les assignations auxquelles je suis soumise. Mais je dois dire que plus que les écrivains que j'ai lus et relus, c'est le réel, la vie dans toute son épaisseur qui a été mon véritable modèle, et que j'ai tenté de reproduire dans mes livres Toute dernière question, Faïza Guène, pourquoi est-ce que vous écrivez ? Je cherche la réponse à cette question à chacun de mes livres et tout au long de mon parcours. Je m'interroge pourquoi une fille de mineur – mon père était mineur quand il est arrivé en France dans les années 1950 – pourquoi tout d'un coup elle prend un stylo et se met à écrire des histoires. Qu'est-ce qui se joue là et pourquoi je continue à le faire et c'est quoi le sens de ça ? Et moi, je pense qu'il y a une sorte de désir très fort chez moi de réparer le silence qu'il y a eu avant et les injustices liées à ce silence, liés à l'histoire coloniale, l'histoire de ma famille, ce qu'ils ont pu endurer, ce qu'ils ont tu. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose pour moi qui ne supporte pas de s'entendre dire on ne va pas raconter, on va continuer à se taire … Il me semble que chez moi, écrire des histoires est lié à ça. (Suite et fin)