Un bilan de la colonisation française Il n'est guère facile, aujourd'hui, d'établir un bilan impartial de la colonisation française en Afrique du Nord, un bilan qui s'écarte, à la fois, des nostalgies impériales de «la plus grande France» mais, aussi, des lectures «anticolonialistes», étroitement manichéennes. La colonisation reposa, pour une part, sur d'importantes spoliations foncières mais, aussi, sur la mise en valeur de terres demeurées, jusque-là, incultes ; ces transformations contribuèrent à la création d'une agriculture moderne et performante, sacrifiée en Algérie, après l'indépendance, à une volonté de collectivisation aux conséquences catastrophiques. En 1935, les terres de colonisation ne représentaient, en Algérie, qu'un quart des surfaces exploitées, un chiffre qui permet de replacer dans de justes limites la dépossession initiale. En parallèle, d'importants travaux d'infrastructures étaient réalisés dans le domaine routier et ferroviaire – le réseau ferré passe en Algérie de 1 373 km, en 1881, à 4 724 km, en 1932. Alors que la population de souche européenne voyait ses effectifs augmenter rapidement – de 235 500, en 1872, à 946 000, en 1936 – la population indigène progressait, beaucoup plus vite, grâce à la révolution médicale introduite par les conquérants : de 2 300 000 musulmans en 1872 à 5 148 000 en 1914, et à près de dix millions en 1960. Demeurée longtemps très insuffisante, la scolarisation des enfants indigènes réalisa, ensuite, de rapides progrès après la seconde guerre mondiale et un effort considérable de promotion sociale fut réalisé au moment de la guerre d'Algérie, dans le cadre du plan de Constantine, alors que la mise en valeur des ressources de pétrole et de gaz du Sahara permettait d'envisager un développement rapide du pays. Les sacrifices consentis au service de la France, par les populations nord-africaines, à l'occasion des deux guerres mondiales, contribuèrent, également, à tisser des liens plus étroits entre la métropole et cet outre-mer, si proche, alors que, dès les années trente, les premières vagues de travailleurs immigrés maghrébins venaient fournir à la métropole une partie de sa main d'œuvre industrielle. La fin des protectorats et l'indépendance Fleuron de l'Empire, au temps de l ‘Exposition coloniale et du centenaire de la conquête de l'Algérie, l'Afrique du Nord française allait choisir, un quart de siècle plus tard, les voies de l'indépendance. La volonté américaine et soviétique d'en finir avec les empires coloniaux européens, au lendemain de la seconde guerre mondiale, ne pouvait que favoriser la puissante aspiration à l'indépendance qui gagnait, alors, les peuples d'Afrique ou d'Asie. Le sultan Mohammed V et le parti nationaliste Istiqlal au Maroc, le parti Néo-Destour de Bourguiba, en Tunisie, réclament la fin du protectorat et la France, contrainte d'abandonner l'Indochine en 1954, doit concéder l'indépendance. Les accords de Carthage, conclus à l'été de 1954, préparent l'accès de la Tunisie à une pleine souveraineté, acquise en 1956. La situation est plus complexe au Maroc, où le sultan Mohammed V est momentanément déposé et exilé à Madagascar, avant qu'Edgar Faure et Antoine Pinay ne concluent, en 1955, avec ses représentants, les accords qui entraînent l'indépendance du pays, proclamée elle aussi en 1956. La Guerre d'Algérie Alors que les indépendances de la Tunisie et du Maroc s'inscrivaient dans leur statut de protectorat qui était, par nature, temporaire, ce ne fut qu'à l'issue d'une guerre de près de huit ans que l'Algérie accéda à l'indépendance. Née de la conquête et de la colonisation, l'Algérie était française depuis plus longtemps que Nice et la Savoie. Une population de souche européenne représentant, en 1960, environ 10% de la population totale, donnait au pays un caractère particulier. Enfin, la guerre révolutionnaire déclenchée par le Front de Libération Nationale, tournée d'abord contre une population musulmane, qu'il importait de contrôler, ne pouvait qu'engendrer une logique de violence sans fin, une guerre qu'aucun des deux belligérants ne pouvait, dans la durée, espérer gagner complètement. Le caractère toujours trop tardif des réformes octroyées, les élections truquées, les grandes inégalités séparant les masses musulmanes de la minorité européenne – au sein de laquelle le petit peuple «pied-noir» était autrement nombreux que les «colons» caricaturés par la propagande hostile – ne pouvaient qu'entraîner une volonté de changement que sut exploiter le FLN, après les premières tentatives du mouvement des Ulémas, de l'Étoile nord-africaine de Messali Hadj et du Mouvement du Manifeste du Peuple Algérien de Fehrat Abbas. Alors que s'exprimaient, déjà, ces aspirations, demeurées longtemps modérées, les représentants de l'Algérie au Parlement faisaient échouer les projets de réforme du gouverneur Violette, notamment celui concernant le double collège électoral, qui ne sera adopté qu'après la seconde guerre mondiale mais qui apparaîtra, alors, très insuffisant. Quand la métropole prendra conscience de l'ampleur du problème, la guerre déclenchée à la Toussaint de 1954 sera déjà commencée et les grandes ambitions manifestées par le plan de Constantine arriveront trop tard. Refusant de voir s'éterniser un conflit qui isolait la France et risquait de devenir un fardeau toujours plus lourd, le général De Gaulle fera le choix, contesté par beaucoup, d'une indépendance qui, accordée au FLN, signifiait le sacrifice de la minorité européenne établie depuis plusieurs générations outre-Méditerranée. Alors que la décolonisation de la Tunisie et du Maroc pouvait être considérée comme réussie, ce que semblent confirmer les bons rapports maintenus depuis avec le royaume chérifien et avec la Tunisie de Bourguiba, puis du président Ben Ali, la fin dramatique de la guerre d'Algérie a ouvert des plaies qui ne sont pas encore guéries même si, au-delà d'une histoire tragique, l'empreinte française est demeurée forte dans l'ensemble du Maghreb. (Suite et fin)