Des milliers de manifestants thaïlandais, favorables au dirigeant déchu Thaksin Shinawatra, ont contraint hier le nouveau Premier ministre Abhisit Vejjajiva à reporter son premier discours devant le Parlement, ouvrant un nouvel épisode de la crise dans le royaume. «Le président du Parlement a décidé de reporter la session (parlementaire) à demain (mardi)», a déclaré M. Abhisit lors d'une conférence de presse au siège du Parti démocrate qu'il dirige. «Le gouvernement entend toujours prononcer son discours demain afin que nous puissions aller de l'avant et gouverner le pays», a-t-il assuré. Elu le 15 décembre, M. Abhisit, dont le parti était jusque-là dans l'opposition, devait prononcer lundi son discours de politique générale à l'occasion d'une session extraordinaire du Parlement. Mais cette session, qui devait commencer à 9h30 (02H30 GMT), a été repoussée à deux reprises de plusieurs heures, avant que le Premier ministre n'annonce son report à mardi. Selon la police, 9.000 manifestants pro-Thaksin, vêtus de rouge, ont bloqué tôt hier les avenues menant au Parlement, ainsi que les principaux accès au complexe, pour exiger la dissolution de la Chambre des représentants et la tenue de nouvelles élections. La veille, ils avaient été 20 000 selon la police, 50 000 selon les organisateurs, à se rassembler sur une place de Bangkok en prévision de l'épreuve de force au Parlement. Plus de 3 000 policiers non armés avaient été mobilisés pour faire face au défi des «chemises rouges», ces partisans de M. Thaksin qui ont succédé dans les rues aux «chemises jaunes», militants royalistes ayant occupé les aéroports de Bangkok il y a un mois et précipité la chute du précédent gouvernement. Le président du Parlement Chai Chidchob a précisé que le Premier ministre avait repoussé son discours pour éviter une répétition des violences du 7 octobre autour du Parlement, où la police avait fait usage de gaz lacrymogènes contre des manifestants royalistes, faisant deux morts et 478 blessés. A l'époque, le Premier ministre était Somchai Wongsawat, beau-frère de M. Thaksin, qui a été contraint à la démission le 2 décembre. Le vice-Premier ministre Suthep Thaugsuban a «confirmé que (les autorités) n'utiliseraient pas la force pour disperser le rassemblement». Né au Royaume-Uni et diplômé d'Oxford, M. Abhisit, 44 ans, chef du Parti démocrate, a été élu Premier ministre par une majorité de députés à la faveur d'un renversement d'alliance parlementaire consécutif à la dissolution par la justice du Parti du pouvoir du peuple (PPP) des lieutenants de M. Thaksin. Mais ses adversaires ne cessent de souligner qu'il ne dispose pas d'un mandat du peuple. M. Thaksin avait lui-même été renversé par l'armée en septembre 2006 après plus de cinq années au pouvoir et il vit aujourd'hui en exil pour échapper à une condamnation pour corruption dans son pays. Ses lieutenants étaient revenus aux affaires après les législatives de décembre 2007 mais ils ont perdu le pouvoir au début du mois après l'interdiction du PPP par la Cour constitutionnelle et la défection de certains alliés parlementaires. «Nous rejetons la voie empruntée par le Premier ministre (Abhisit) pour accéder au pouvoir», a déclaré Nattawut Saikuar, un des leaders du mouvement pro-Thaksin. Jatuporn Prompan, autre meneur des «chemises rouges», a estimé que M. Abhisit avait obtenu son poste grâce au «soutien de l'armée» et a mis en garde contre les risques de «guerre civile» si la police entrait en action. Outre la relance de l'économie, mise à mal par la crise du tourisme et le spectre de la récession mondiale, M. Abhisit a promis un «grand plan de réconciliation nationale», fondé sur «la justice», pour mettre fin à l'interminable crise politique qui paralyse le royaume depuis près de trois ans.