Et du moment que la langue arabe est commune à tous les pays du monde arabe, ce dont en profitent, généralement, les esprits hégémonistes du panarabisme, qui en font perpétuellement un fonds de commerce aux dépens de la souveraineté des autres, cet idiome, en fait partagé par tous les Arabes, apparaissant ainsi comme une langue «supranationale» chapotant toutes ces contrées qui ne sont pas sans disposer de leurs propres langues nationales et langages vernaculaires spécifiques non officialisés, la langue arabe, globalisante de l'ensemble, ne participe-t-elle pas, de la sorte, à étouffer la souveraineté légitime des idiomes autochtones ? En d'autres termes, étant donné que l'arabe est une langue officielle commune à tous les pays arabes, s'affirmant donc comme langue «supranationale», et que les langues des parlers locaux spécifiques de chaque terroir, qui sont celles le plus couramment utilisées par les populations de ces contrées, la question qui vient par conséquent à l'esprit est, en toute logique, la suivante : ces idiomes spécifiques autochtones ne sont–ils pas , en principe, dans la situation de droit à l'aspiration légitime de la promotion et officialisation de leurs langues nationales -patrimoniales, injustement minorisées par rapport à la langue «supranationale» –littérale officielle, partagée et utilisée de façon limitative par tous les pays du monde arabe, essentiellement dans les services d'administration, l'enseignement, les médias et la diplomatie, et non socialement – populairement ? En d'autres termes, ce qui doit retenir l'attention, aujourd'hui, c'est que la diversité linguistique, par exemple au Maghreb surtout, et en Algérie particulièrement, ait été réappropriée par la société civile qui en appelle à la reconnaissance de ce caractère pluraliste des langues en présence qui coexistent de façon plus pacifique qu'autrefois. Dès lors, il apparaît tout à fait légitime de s'interroger sur les perspectives d'un système d'enseignement, entre autres, s'il saura dépasser les faux clivages, entre une culture savante qui ne s'exprimerait qu'en arabe classique, et une culture populaire qu'en «Daridja». D'où la question légitime qui s'impose d'elle-même : le système d'enseignement actuel ne devrait- il pas être repensé pour refléter, justement, ce phénomène de réappropriation de toutes les composantes de l'identité algérienne plurielle ? A quand donc, comme se le demande le linguiste Abdou Elimam, un enseignement qui fera place à la Daridja, ou Maghrébi populaire, comme il la qualifie dans son ouvrage «L'exception linguistique», comme lien pédagogique entre la maison et l'école et se servira des similitudes qu'elle présente avec l'arabe classique pour enseigner cette dernière aux enfants, sans dénigrer leur langue maternelle ? De la sorte, loin de mettre dans l'embarras la langue arabe scolaire, la Daridja contribuerait, au contraire, au renforcement de celle-ci ! Faut-il rappeler que, pratiquement, chaque pays du monde arabo- maghrébin dispose de sa propre «Daridja» populaire spécifique, quasiment utilisée dans l'univers des arts audiovisuels, théâtraux, les joutes oratoires, les parlers populaires etc., tandis que l'arabe littéral du registre soutenu n'est utilisé que dans les services administratifs, religieux et les domaines d'études scientifiques et littéraires ? Et du moment que l'idiome de l'arabe académique officiel est en usage dans toutes les contrées de la sphère arabo-maghrébine et servirait de moyen de communication et d'échanges culturels, commerciaux, sportifs, et de liaisons diverses donc, cette situation géoculturelle particulière générant et étendant, en quelque sorte, une langue «supranationale» que partageraient tous ces pays linguistiquement apparentés, ces pays-là, n'est-ce pas, finalement, la reconnaissance et promotion officielle de leur «Daridja» locale nationale qui est à même de les distinguer, chacun, dans son authenticité langagière populaire et culturelle-identitaire spécifique ?, comme l'écrivait l'auteur de ces lignes dans l'édition d'El Watan du 30 août 2007 (Cf. De la réconciliation des langues après l'affaiblissement des idéologies). Une parenthèse pour ajouter qu'étant donné qu'il n'existe pas du tout à l'état de nature un Arabe de pureté raciale, ou un quelconque «homo arabicus» pur et, si oui, s'agirait-il de l'Irakien qui est d'origine mésopotamienne ? Du Syrien d'origine assyrienne ? Du Libanais d'origine phénicienne ? Du Palestinien d'origine cananéenne ? Du Soudanais d'origine nubienne ? De l'Algérien, Marocain, Tunisien, et du Mauritanien, ces Maghrébins qui sont d'origine numido-berbèro-mauresque ou afro-amazigh ? Ou s'agirait–il de l'habitant de la Péninsule arabique qui a subi, depuis la nuit des temps, toutes sortes de brassages humains ? Et effectivement, l'Arabe racial mythique ne pourrait jamais prétendre à une quelconque pureté , et ce en étant resté aussi bien dans sa presqu'île désertique - ou s'y sont continuellement entremêlés, et ne cessent de l'être, à ce jour, les diverses vagues de «migrants» islamisés (sans parler d'une bonne partie des anciens habitants de cette Péninsule arabique, de descendance historique d'ex-infortunés «esclaves» originaires d'Afrique devenus «arabes émancipés de la cité», fondus parmi leurs semblables frères de la communauté des croyants après leur conversion à l'Islam ; alors même que, de nos jours, on assiste encore dans cette zone arabique à l'afflux important de migrants asiatiques musulmans, et autres, qui s'y établissent en se naturalisant, et une fois devenus parties prenantes de la société péninsulaire, ces nouveaux néo-Arabes sont donc venus, aussi, s'ajouter aux résidents originels et ex- migrants de la contrée, accroissant cette communauté «arabe» métissée ), - ou en étant allé porter le message coranique, sur les cinq continents, au contact d'une bonne proportion des nouveaux convertis, qui ont tout autant influencé et enrichi, en retour, l'Arabe acquis des messagers de l'Islam et, surtout, intégré ce dernier, à un niveau autre, supérieur, en élargissant au concept universaliste de Umma son espace tribal restreint d'origine, avec l'apport formidable, notamment, de savoirs multiples et traductions des civilisations et cultures islamisées non arabiques. (A suivre)