Une telle option n'est pas du tout une entrave : ni à la modernité, ni à la souveraineté nationale. Notons que l'Etat de Floride, entre autres, reconnaît six langues officielles, celui de Philadelphie en reconnaît cinq (Français, Anglais, Irlandais, Chicano et l'Allemand).Cela n'empêche pas les Etats-Unis d'être la première puissance mondiale!» (Abdou Elimam ,in «L'exception linguistique en didactique», p.38, Editions Dar El Gharb, Oran-Es Senia, Algérie 2006). Et cela n'empêche pas non plus les USA d'avoir une identité culturelle puissamment affirmée, par le brassage extraordinaire de son multiethnisme et multiculturalisme plurilingue qui font justement la grandeur, et la spécificité mosaicale pourrait-on dire, de la nation américaine. Il y a lieu de signaler ici, que le pluralisme linguistique, contrairement à ce que pensent certains, ne constitue nullement un danger pour l'unité nationale ou la langue nationale mais présente plutôt un atout enrichissant, surtout à l'heure des mondialisations transfrontières. Ecoutons le spécialiste émérite Abderrezak Dourari, titulaire d'un doctorat d'Etat en linguistique de l'Université de Paris III Sorbonne, obtenu en 1993 et qui a déjà publié de nombreuses et remarquables études et articles scientifiques dans diverses revues nationales et étrangères sur des thèmes se rapportant à la question amazighe, à la politique linguistique de l'Etat, à l'identité et à la culture algériennes en général, qui observe à propos du pluralisme linguistique et l'unité nationale dans le chapitre 9 de son édifiant ouvrage («Les malaises de la société algérienne, crise de langues et crise d'identité», (Casbah Ed.Alger 2003) , ce qui suit: «(…) L'identité nationale algérienne ne peut être fondée uniquement sur la langue. Un pluralisme linguistique n'implique pas nécessairement une dislocation de l'unité nationale. L'identité algérienne, telle que tous la reconnaissent, est tridimensionnelle : berbérité – arabité – islamité. (…) La synthèse, et non pas la stratification quasi-géologique, des trois dimensions historiques et culturelles, avec une histoire de lutte contre l'occupant et une intégrité territoriale forment l'algériannité d'aujourd'hui .(…) une telle perspective empêche la tentation de repli sur soi , ou l'exacerbation des traits identitaires particularistes aux détriments des traits d'intégration. «Dès lors, «la fameuse crise de l'identité dont on nous rebat les oreilles, nous dit Claude Lévi-Strauss, acquerrait une toute autre signification. Elle apparaîtrait comme un indice attendrissant et puéril que nos petites personnes approchent du point de ou chacune doit renoncer à se prendre pour l'essentiel «( cf. Levi-Strauss C, 1973,- Race et histoire, Gonthier, p.21, 1987, L'identité , P.U.F , 2e éd., p.11). Autrement dit, l'avènement d'un tel milieu social démocratique et serein ne pourrait être possible que dans la mesure ou toutes les parties prenantes du tout, de l'ensemble des paramètres culturels et identitaires, puissent communiquer entre elles, dans un climat d'entente, d'interdépendance et de complémentarité citoyennes, et ce dans un cadre national et officiel qui parachèverait résolument l'institutionnalisation du plurilinguisme en Algérie. Ce qui ne remettrait jamais en cause , comme indiqué ci-dessus, l'unité nationale, ni ne dérangerait la langue arabe étant donné l' extension progressive de son idiome , et sa relative popularité parmi les lectorats de la jeunesse algérienne (estudiantine, tout particulièrement), qui aujourd'hui, lit, écrit, et communique de plus en plus en arabe mi-littéraire mi-dialectal, comme on peut aisément le constater dans la rue, ou lors de débats improvisés, manifestations culturelles et sportives ,etc.. Raison pour laquelle, les spécialistes les plus aguerris en matière de linguistique et communication sociale, nous assureraient , sans l'ombre d'un doute, qu'en cas d'officialisation du tamazight et du maghrébi dialectal populaire (dardja) par exemple, et la tolérance statutaire admise à des langues étrangères dans le champ communicationnel et culturel algérien en général, la langue arabe, langue nationale et officielle, nettement popularisée, à la faveur de son ouverture résolue sur la modernité et l'universalité, sera loin, loin, très loin d'être mise en péril, par la coexistence d'idiomes voisins, non pas concurrentiels mais surtout complémentaires (le cas de la Suisse, de l'Amérique, de l'Australie, du Liban, etc. est édifiant au vu de leurs élites et larges couches de leurs populations multilingues usant conjointement de l'anglais, du français, de l'allemand, de l' espagnol, de l'arabe etc., en plus des langues vernaculaires aux idiomes pluriels polarisés dans leur ensemble par la langue généralisée courante dominante soit de l'anglais, de l'allemand, du français, ou de l'arabe, constituant le dénominateur commun mais ouvrable sur tous les autres référents culturels ou communiant avec tous les autres paramètres linguistiques-identitaires nationaux complémentaires- interdépendants. Les cauchemars des risques de schismes ou de dérives désarticulatoires ne sont que dans les esprits hésitants, ou de ceux exagérément anxieux des conservateurs monolingues d'un autre age. C'est désormais l'ère mondialiste du multilinguisme caractérisé au minimum par le bilinguisme dans les pays émergeants, la question ne se posant plus dans les pays nantis, ou un pays arabe plurilingue comme le Liban. Comme l'a mentionné à juste titre un Said Djaafer dans sa chronique dans l'hebdomadaire en arabe El Mouhaqak du 11 mai 2007, hebdo qui compte surtout des bilingues parmi son personnel «(…) le conflit entre arabisants et francisant s'est achevé, c'est désormais la loi de l'économie de marché (…)». Ou encore, comme l'a déclaré tout récemment Said Khatibi , à l'occasion de sa présentation de son anthologie de textes français traduits en arabe aux rencontres des «Echos de plumes» parrainé par le théâtre national algérien, «le conflit entre arabisants et francisants a été l'objet de manipulations tendancieuses, et l'heure est venue pour nous accorder avec nos êtres en nous relisant «(rapporté par le quotidien arabophone Ech- Chouroq du jeudi 14/01/2010). Et ce, alors qu'au même moment, la presse nationale francophone ne cesse d'insister sur la nécessité de l'apport des langues et du multilinguisme,en général, en cette ère nouvelle de la mondialisation transfrontières. Avis à ceux qui somnolent encore et qui risquent des réveils brutaux : notre voisin le Maroc exige, depuis un bon bout de temps, des étudiants accédant à l'université la maîtrise au moins de deux langues, écrites et parlées, exemple à méditer. Le bilinguisme et le multilinguisme sont désormais la caractéristique de l'aube de ce XXIe siècle (les téléspectateurs auront remarqué que chansons et films recourent de plus en plus au plurilinguisme , sans parler de la communication transcontinentale via Internet). Et contrairement à ce que redoutent les puristes, cela constitue un facteur indéniable d'enrichissement, cet apport de langues –passerelles avec l'humanité du monde- ne constituant nullement un danger — on ne le répétera jamais assez- — pour la langue arabe qui est désormais une langue universelle (enseignée aujourd'hui jusque dans les universités israéliennes) et que rien ne menace donc… L'Arabité, comme l'a tôt signalé feu Kateb Yacine n'est pas de l'ordre du racial, l'Arabité est essentiellement culturelle. Son statut consacré de langue nationale et officielle ne doit surtout pas prêter à confusion et en venir à signifier monopole outrageant d'un paramètre linguistique identitaire "unitaire»imposé au détriment des autres idiomes nationaux langagiers qui sont non moins constitutifs de la spécificité identitaire culturelle algérienne pluraliste . Il est inconcevable d'imposer une langue unique et ignorer tous les autres idiomes tout à fait opérationnels dans les différents contextes sociaux, universitaires, médiatiques, périphériques internationaux,etc, comme l'ont souligné maints linguistes maghrébins, notre vrai système en Algérie, au Maroc, en Tunisie, au Maghreb en général, repose sur: - l'arabe classique utilisé dans l'administration et en religion - le français, qui aujourd'hui avec la fin des idéologies, n'est plus considéré comme une langue transitoire provisoire mais comme une langue indispensable d'études et de travail au même titre d'ailleurs que l'espagnol ou l'anglais et son corollaire le «globish «( association de globalisation et english) - le tamazight avec ses variantes de nos origines patrimoniales - la «Daridja «de l'arabe dialectal populaire. (A suivre)