Le mouvement d'opposition au régime iranien devait montrer au monde qu'il était l'avenir de la nation. Au final, les manifestants n'ont pas réussi à voler la vedette au président Mahmoud Ahmadinejad, qui a profité du 31e anniversaire de la révolution pour annoncer que l'Iran était devenu un Etat nucléaire. Et c'est ce discours qui gravera cette journée du 11 février dans les mémoires. C'est la première fois, depuis des mois, que des journalistes de la presse étrangère sont autorisés à couvrir un événement public à Téhéran. Tôt le jeudi matin, nous nous sommes tous rendus au bureau des médias étrangers du ministère de la Culture et de la Guidance islamique pour recevoir les autorisations pour la journée, des gilets fluo nous désignant comme journalistes, et un chocolat au lait. Nous sommes, ensuite, montés à bord de trois bus et sommes partis, direction la Place de la Liberté. Dix mille personnes sagement rassemblées Je suis resté les yeux à la fenêtre, à l'affût de signes d'opposition, mais rien. Ces derniers mois, les fresques de martyrs et de personnages de la révolution de Téhéran ont été éclaboussées de peinture verte. En chemin, j'ai vu une représentation de l'Ayatollah Khomeini le front dégoulinant de traînées vertes. En arrivant sur la place, il était évident que la plupart des entrées avaient été bloquées. Les gens entraient en flot mince mais continu, pour finir par former une foule de plus de dix mille personnes -- ce qui n'est pas rare en République islamique, où le régime aime à fabriquer les scènes de soutien populaire. On nous a menés à une plate-forme surélevée à moins de 30 mètres de l'endroit où le président Ahmadinejad allait faire son discours. Hélas, nous n'avons pas été autorisés à nous mêler à la foule, et les spectateurs près de nous, en majorité des adolescentes, avaient pour consigne de ne pas nous parler. Elles se contentaient d'arborer leurs panneaux de propagande proclamant «Mort à l'Amérique», «Mort à Israël» et «Mort au Royaume-Uni». SMS coupés Quelques minutes avant le début du discours présidentiel, le service de SMS a été coupé. Pour nous, c'était le signe que des heurts avaient éclaté ailleurs dans la ville. Les téléphones portables continuaient, pourtant, à fonctionner, et toute la matinée nous avons reçu des appels faisant état de violences sporadiques dans un quartier voisin, mais rien qui ne se rapproche de ce que tout le monde attendait. Ponctuel, Ahmadinejad est apparu à 11h et a proféré un long discours nationaliste prévisible, principalement constitué d'injures à l'égard les Etats-Unis, avant de finir par annoncer que l'Iran produisait de l'uranium enrichi à 20 %. Son discours a été acclamé, au moins par les spectateurs des premiers rangs, le tout orchestré par deux hommes qui levaient les mains pour indiquer à quel moment il convenait de se manifester. Le public, docile, obtempérait-tout le monde connaît la routine, maintenant. Un spectacle pour les médias étrangers La foule a commencé à se disperser avant la fin du discours du Président -- mais après qu'il a abordé ses principaux sujets. Nous sommes restés pour prendre des photos, faire des enregistrements audio et vidéo, et simplement contempler le spectacle. J'ai compris à ce moment-là que ces événements, leurs fanfaronnades et leur nationalisme ostentatoire, sont destinés à la consommation des médias étrangers davantage qu'aux spectateurs présents. Tout soutien acquis ou renforcé parmi les Iraniens n'est jamais qu'un bonus. Le bus nous a ramenés au ministère par un autre chemin. De nouveau, aucune trace de violence particulière: pas de fumée, pas de blessé titubant, pas de signe de casse comme des fenêtres brisées ou des poubelles incendiées. Certes, des heurts et des arrestations ont été signalés -- notamment des proches des leaders de l'opposition Mehdi Karoubi et Mohammad Khatami -- mais rien à l'échelle des événements de ces derniers mois. Impossible de deviner ce que l'avenir réserve aux Iraniens, mais, aujourd'hui, il apparaît clairement que la phase de protestation dans la rue est terminée. Les manifestations ont été repoussées dans la clandestinité, ce qui signifie que la révolution verte que tout le monde attendait ne passera pas à la télé.