Pendant les premières années, l'Autriche-Hongrie connaît la paix à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières. L'apogée du système : 1867-1895 Le calme est enfin revenu en Hongrie sous la direction musclée du Premier ministre Kalman Tisza. Son parti libéral se montre loyal envers le Compromis de 1867, mais est implacable à l'égard des minorités du royaume qui refusent d'adopter la culture magyare. L'Autriche connaît une période de réformes et de prospérité sous les gouvernements libéraux allemands (1867-1878) — hésitant entre centralisme et fédéralisme. Le «Cercle de fer», une coalition d'éléments conservateurs, aristocratiques, cléricaux et slaves, dirigé par l'ami d'enfance de François-Joseph, le comte Edouard Taaffe (1878-1893), lui succède. Rivalités entre les peuples de l'Empire Pour asseoir son pouvoir, son gouvernement entretient les rivalités entre les différentes nationalités. Jusqu'au début du XXe siècle, la double monarchie connaît un grand développement économique. L'industrialisation de la Bohême et de la Silésie, les progrès du capitalisme bancaire à Vienne, mais aussi l'essor prodigieux de Budapest (qui s'équipe du premier métro du continent, avec Paris), capitale de la Transleithanie, en sont les principaux traits. En matière de politique étrangère, les problèmes de la monarchie ont en grande partie été résolus par les retraits de l'Italie (1859-1866) et de l'Allemagne (1866). Son principal souci est de conserver son statut de grande puissance dans les Balkans et surtout d'empêcher l'expansion des jeunes Etats voisins (Serbie) sur ses territoires slaves méridionaux et roumains. Cette menace peut devenir un réel danger si ces Etats obtiennent le soutien de grandes puissances comme la Russie. Habileté diplomatique Dans leurs efforts visant à empêcher de telles alliances, les Habsbourg font preuve de beaucoup de flexibilité et d'habileté en s'adaptant aux évolutions de la situation internationale pendant les quarante ans qui suivent le Compromis. La guerre, étant donné la faiblesse relative de la monarchie et les expériences malheureuses des années 1850 et 1860, est écartée par la monarchie. Beaucoup plus belliqueux et antirusses, les Magyars ne réussissent jamais à infléchir la politique étrangère austro-hongroise dans ce sens. Dans les années 1870 et 1880, les ministres des Affaires étrangères de François-Joseph parviennent à contenir les ambitions russes dans les Balkans. Ils se rapprochent du Royaume-Uni au congrès de Berlin (1878), qui leur octroie un protectorat sur la Bosnie-Herzégovine et leur permet d'empêcher la création d'un grand Etat serbe sur ses frontières sud. En 1887, c'est l'entente méditerranéenne entre le Royaume-Uni et l'Italie, soutenue brièvement par l'Allemagne après la chute de Bismarck, en 1890. Alliances et traités L'Empire signe avec l'Allemagne (1879), puis la Roumanie (1883) des traités défensifs contre la Russie. Il s'allie avec des Etats susceptibles de poser des problèmes (Serbie en 1881, Roumanie en 1883), afin de les neutraliser ou de les contrôler. La signature en 1882 de la Triple-Alliance avec l'Italie et l'Allemagne fixe l'axe majeur de la politique étrangère de l'Empire jusqu'en 1914. Un accord est même conclu avec la Russie ; il permet de stabiliser la situation dans les Balkans pendant plusieurs années (Ligue des trois empereurs 1873-1878 ; Alliance des trois empereurs 1881-1887). Grâce à ces arrangements diplomatiques, la monarchie parvient à éviter la guerre Crises intérieures, passivité à l'étranger 1895-1906 A la fin des années 1890, en Cisleithanie, l'aggravation des tensions entre les partis nationalistes bourgeois tchèques et allemands de Bohême provoque la paralysie de l'activité parlementaire à Prague et à Vienne. L'empereur forme des gouvernements composés de fonctionnaires, et les budgets sont régulièrement votés par le biais de décrets d'urgence, jusqu'à la réforme électorale de 1906. Le suffrage universel est introduit dans l'espoir que les partis nationalistes seront battus par les nouveaux partis populaires, social-démocrate et social-chrétien. L'arrivée au pouvoir en Hongrie des adversaires du Compromis constitue une menace plus sérieuse encore pour l'Empire. Les négociations pour la révision du compromis commercial de 1897 traînent jusqu'en 1906 ; les exigences concernant le traitement particulier des contingents hongrois au sein de l'armée royale et impériale se font de plus en plus pressantes. Menaces d'éclatement réelles En 1905, les partisans du système de 1867 sont battus aux élections. François-Joseph décide de soumettre la Hongrie à une quasi-loi martiale et des rumeurs commencent à circuler à l'étranger sur l'imminence d'un éclatement de l'Empire. À la différence des troubles constitutionnels relatifs aux questions des nationalités, la crise hongroise de 1903-1906 oppose le souverain à une nation constitutive de l'Empire. Cette crise interne, la plus grave de l'histoire de l'Autriche-Hongrie, est résolue lorsque François-Joseph menace d'imposer le suffrage universel en Hongrie — ce qui mettrait un terme à la suprématie magyare en Transleithanie. Le gouvernement de Budapest accepte de revenir à l'accord de 1867 sans toucher à l'armée commune, et le roi s'engage à adopter la réforme électorale voulue par le gouvernement hongrois. Le Compromis a été sauvé, mais aux dépens des nationalités. Une fois encore, François-Joseph a conclu un accord avec l'élite magyare au prix d'une oppression accrue des Roumains et des Slaves de Hongrie. Désabusés, les Croates catholiques commencent même à se rapprocher de leurs ennemis héréditaires, les orthodoxes serbes. Ces dix années d'agitation interne ne voient pas de grand bouleversement en politique étrangère. Alors que l'Allemagne se rapproche à nouveau de la Russie, que le Royaume-Uni et les alliés balkaniques prennent leurs distances, la monarchie peut se réjouir de voir la Russie absorbée par son ambition en Extrême-Orient, qui aboutit bientôt à la guerre russo-japonaise. En 1897, l'Autriche-Hongrie et la Russie concluent un accord de coopération destiné à prévenir les troubles dans les Balkans, il contribue largement à réduire les tensions au cours de la décennie suivante. Les progrès du mouvement nationaliste à Belgrade, qui rêve de constituer une grande Serbie, et ses relais dans l'Empire auprès des Croates, accroissent cependant la tension avec Vienne. Malgré ce contexte, l'Autriche connaît à la fin du XIXe siècle un remarquable foisonnement artistique et culturel dans tous les domaines, et Vienne devient l'une des plus brillantes cités européennes. (A suivre)