«Voilà un renfort de poids !» Et l'euro a immédiatement repris un peu de couleur sur les marchés de changes. Voilà un renfort de poids en effet pour la monnaie européenne. Mais c'était oublier début octobre et le discours de Wen Jiabao en visite à Athènes. La Chine achètera des obligations grecques promettait le premier ministre, en même temps qu'elle fera des investissements dans le pays d'Homère à commencer par le port du Pirée et ses navires. C'était oublier aussi la visite, un mois plus tard, du président chinois cette fois au Portugal. Hu Jintao annonçait des «mesures concrètes» pour aider ce pays en crise de dettes souveraines. Là encore, il était question d'acheter de la dette portugaise. La Chine répète donc ce qu'elle a déjà dit : elle se portera au secours des pays sur-endettés de la zone euro. Pourquoi ? La première réponse tient aux exportations de l'empire du Milieu, le premier moteur de l'enrichissement chinois. L'Europe est son premier client avec plus de 210 milliards de dollars tandis que le Vieux Continent lui livre des biens pour 80 milliards. Pékin qui ne peut pas se passer de tels débouchés, a besoin d'une Europe consommatrice en bonne forme. Si la crise monétaire s'envenimait au point de flanquer la zone euro en récession, la Chine en pâtirait beaucoup. Voilà une première raison pour la soutenir. La seconde est plus lointaine, stratégique. Un monde multipolaire se dessine dans lequel le poids des Etats-Unis ira forcément en décroissant. Or, les réserves de changes accumulées par les excédents commerciaux de Pékin, 2 700 milliards de dollars, sont encore pour l'essentiel libellées en dollars. La Chine est donc dépendante de la valeur du billet vert qui va, inéluctablement, perdre sa suprématie. Pour minimiser le risque, le gouvernement chinois diversifie les placements de son trésor depuis plusieurs années. Les avoirs détenus par la Chine en euros auraient augmenté de 40 % depuis dix ans. Mais encore faut-il que l'euro tienne et ne perde pas de sa valeur. La Chine a donc besoin non seulement de l'Europe mais de l'euro. D'où la crainte officielle - mais véridique - parmi les dirigeants de Pékin que la crise européenne se complique, perdure et affaiblisse ce partenaire qui permet le jeu à trois avec le dollar et les Etats-Unis. Plus important encore, et cet aspect est sans doute moins connu: l'existence d'un euro solide est une condition de la poursuite de la stratégie économique et monétaire menée actuellement par la Chine. Cette stratégie, rappelons-le, vise à réorienter le modèle de croissance vers la consommation interne, pour moins dépendre des exportations vers des économies occidentales essoufflées. Cela passe par une convertibilité du Renminbi ? (le yuan sur la scène étrangère) à laquelle se destine Pékin mais qui passe par «un équilibre entre dollar, euro et Renminbi», comme l'a reconnu un officiel chinois à Paris récemment. Sans cet équilibre, expliquait-il - ce qui à ses yeux signifiait un «contrôle» du jeu à trois - la Chine ralentira son ouverture économique et sa normalisation monétaire. La Chine n'y viendra que si elle n'est pas seule face aux Etats-Unis et au dollar. On peut penser ce que l'on veut de cette possibilité de «contrôle» mais en clair, dans le monde multipolaire de demain, tel que le voient les Chinois, l'Europe et l'euro occupent une place non pas seulement essentielle mais existentielle ! La Chine n'aime pas le G2, elle veut au moins un G3.